Haïti – Reconstruction: Port-au-Prince, trois ans après le séisme
Haïti pourrait être la petite sœur francophone de la paradisiaque République dominicaine. Mais le sort, ces dernières années en a décidé bien autrement. Nos reporters Eve Irvine et Alexandra Renard sont retournées dans la capitale, trois ans après le séisme, le choléra et les cyclones. Elles dressent le portrait de Port-au-prince aujourd’hui : au soleil, touristes et cocotiers ; à l’ombre, des centaines de milliers de réfugiés…
Haïti et la République dominicaine se partagent géographiquement l’île Hispaniola. La République dominicaine occupe les deux tiers de l’île, Haïti le tiers ouest. Une même île, et pourtant. Haïti vit un enfer quand sa voisine ressemble au paradis. La République dominicaine vit essentiellement du tourisme, recevant l’an passé plus de 4 millions de visiteurs étrangers, quand Haïti en accueillait 350 000 environ.
Sur le papier, tout prédispose Haïti au même rêve paradisiaque : un climat tropical, une température moyenne de 30 degrés Celsius. Des lagons, des montagnes, une végétation luxuriante, une culture riche, joyeuse et généreuse. Des sous-sols qui regorgent de ressources en matières premières. Une population jeune et forte… Mais depuis les années 1980, « la perle des Antilles » s’enfonce dans un long processus d’enlisement, malgré ses richesses abondantes.
Car rien ne semble épargner ce bout d’île : despotisme, corruption, pauvreté, violence, séisme, choléra, cyclones … Après chaque vague de malheurs, le pays souffre en silence. Le séisme du 12 janvier 2010 a été cataclysmique.
J’ai effectué plusieurs séjours professionnels en Haïti. Difficile à chaque fois de me retrouver face à la grande pauvreté et ce, malgré les dons financiers post-séisme considérables de la communauté internationale. Des dons utilisés principalement pour répondre à une urgence gigantesque : soins, eau, vivres, tentes pour plus d’un million de sans-abri. Mais l’urgence s’est installée dans le temps avec les différents fléaux qui ont suivi le tremblement de terre : choléra, cyclones, ouragans…
Retourner vivre dans les ruines
Aujourd’hui, trois ans après le séisme, les changements sont modestes. Les décombres ont enfin disparu. Le palais présidentiel a été rasé, le camp du Champ de Mars qui abritait des milliers de réfugiés sous des tentes de fortune aussi. Dans la capitale, ici et là, quelques projets de reconstruction immobilière sont lancés. Mais ils restent souvent au stade du balbutiement.
Ce qui frappe surtout, ce sont les gens : ils survivent depuis trop longtemps, le vivent de plus en plus mal et ne le cachent plus. Il est habituel de lire et d’entendre parler de résilience pour expliquer les sourires permanents des Haïtiens. Mais la vérité est tout autre : l’ambiance générale est plus que morose. Nous l’avons ressenti à toutes les étapes de notre tournage et avec l’ensemble des interlocuteurs. La caméra est souvent mal venue car « elle ne leur apporte rien », disent-ils. « Les Blancs sont responsables de nos malheurs », a t-on souvent entendu sur notre passage… Pour de nombreux intellectuels locaux, l’omniprésence des États-Unis et la présence de nombreuses ONG peu efficaces, car spécialisées principalement dans de l’intervention d’urgence, contribuent à maintenir le pays dans un état de sous-développement.
Beaucoup de réfugiés du séisme demeurent encore sous des tentes. Ils sont probablement encore plus de 300 000 personnes à vivre dans des conditions déplorables. Les ONG et autorités sécuritaires les ont lâchés. « Le président Martelly n’a rien changé pour nous », disent-ils. Les reconstructions provisoires réalisées dans l’urgence sont devenues permanentes donc dangereuses. Beaucoup sont retournés vivre dans les ruines de leurs habitations estampillées d’une croix rouge, donc officiellement 100 % inhabitables…
L’économie va mal. Les produits alimentaires de base sont en constante augmentation. La plupart des Haïtiens diplômés ont fui le pays. L’exode de l’élite, aucune politique forte et une corruption latente ont eu raison des derniers espoirs pour relever la nation. Certains font tout de même de la résistance, comme Mona et son mari, parents de Cédric, et instituteurs que nous avons suivi dans leur quotidien.
À travers ce reportage, nous avons voulu ouvrir une fenêtre sur l’Haïti que l’on connaît peu. Ses lagons, ses cocktails, ses écoles bilingues… Et puis sa cruelle réalité qui frappe la majorité des Haïtiens.
Un grand reportage d’Eve Irvine et Alexandra Renard. (Source/Regardez la vidéo du reportage ici: http://www.france24.com/fr)