Haïti – Culture: Alcina Fénélus née en 1898 et bien vivante

Alcina Fénélus, l’Haïtienne la plus âgée connue. © Photos Francis Concite.

Née la même année où Le Nouvelliste a été fondé, Alcina Fénélus est probablement la personne la plus âgée d’Haïti et sûrement l’une des plus vieilles du monde. A exactement 114 ans et 174 jours, cette femme à cheval sur trois siècles coule des jours heureux auprès de sa famille à Bon-Repos. Regard sur cette dame plus que centenaire, un peu moqueuse, qui ignore maladie et médicaments.

Toute menue dans sa petite robe de cotonnade rose, les cheveux cendrés impeccablement peignés, Alcina Fénélus attend la visite du
journaliste du Nouvelliste au fin fond de la demeure de sa fille à Bon Repos, à la plaine du Cul-de-Sac. C’est là que la doyenne probable
d’Haïti, et certainement l’une des femmes les plus âgées au monde, vit depuis une trentaine d’années, entourée de l’amour des siens. Née le 8 novembre 1898 à Jean-Rabel sous la présidence de Tirésias Simon Sam, sa venue au monde aurait pu faire l’objet de l’un des tout
premiers articles parus dans les colonnes du journal Le Nouvelliste, fondé en mai de la même année…

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Lemencia Nelson donne à boire à sa mère adorée

Alcina Fénélus a passé le plus clair de sa vie dans sa ville natale de Jean-Rabel, avant de venir s’établir définitivement en 1986 – à 88 ans
bien comptés – dans ce qui était alors la rase campagne de BonRepos. Il faut croire que l’air pollué de cette partie de plus en plus urbanisée de l’aire métropolitaine n’a aucun effet sur la santé de la centenaire. Celle-ci se plaisait encore tout récemment à danser avec
les gens qui venaient la visiter. Mais, depuis une mauvaise chute survenue en 2011, elle ne se déplace plus qu’en chaise roulante…
Etonnamment, Alcina Fénélus ne souffre d’aucune maladie liée généralement au vieillissement. « Ma mère a toujours eu une santé de
fer », confie sa fille Lemancia Nelson, ajoutant que sa mère ne prend aucun médicament. « Je ne me rappelle pas avoir vu maman malade, elle ne souffre d’aucune maladie liée à son âge. »

Ce qui en stupéfie plus d’un, c’est que Mme Fénélus ne suit aucun régime alimentaire particulier. « Elle mange tout ce qui se fait à la maison, pour autant que cela ne nuise pas à ses gencives puisqu’il ne lui reste aucune dent », explique sa « jeune » fille âgée de 68 ans.
Lemancia Nelson aime prendre soin de celle qui l’a mise au monde. «Elle a bien pris soin de nous, c’est à notre tour de bien prendre soin
d’elle », poursuit-elle, reconnaissante.

Lorsqu’on lui rappelle quelques-uns des grands événements de l’histoire de notre pays au XXe siècle, la doyenne esquisse un sourire.
Elle se souvient par exemple du terrible cyclone Hazel d’octobre 1954, qui a bouleversé le pays. Elle se rappelle également l’Occupation
américaine en 1915, alors qu’elle n’avait que 17 ans et fréquentait encore l’école à Jean-Rabel. « Ma mère nous raconte encore ce qui se
faisait durant sa jeunesse à Jean-Rabel », dit sa seule fille et dernière enfant, Lemancia Nelson.

Ayant toujours su lire et écrire, cela lui a permis d’élargir son horizon. Jeune femme, elle partait en pleine nuit de l’habitation Casse-Pied, traînant un âne chargé des produits de la zone et marchait pendant des heures jusqu’à Anse-Rouge, où elle prenait un voilier jusqu’aux Gonaïves, Saint-Marc ou même Port-au-Prince. Elle revenait ensuite à Jean-Rabel de la même façon, revendant avec un petit profit les produits manufacturés qu’elle s’était procurés. Elle a fait ce négoce pendant des dizaines et des dizaines d’années, subvenant ainsi courageusement aux besoins de ses quatre enfants.

« A cette époque, on pouvait acheter plein de produits avec quelques centimes, m’a souvent raconté maman. Il y avait beaucoup de
nourriture partout. Certains produits comme les bananes ou les mangues pourrissaient sur pied tellement il y en avait », dit Lemancia
Nelson, l’oreille près des lèvres de sa mère qui, dans un souffle, essaie de raconter comment les Haïtiens – alors beaucoup moins nombreux – vivaient à cette époque. « Personne ne souffrait de la faim et la vie était agréable. On vivait heureux. Les gens étaient plus polis et tout le monde respectait les autres », explique la fille de la centenaire, soulignant que les choses avaient commencé à changer sous la présidence de Dumarsais Estimé.

Alcina Fénélus murmure quelques mots, les lèvres plissées comme si elle souriait et qu’elle était redevenue soudain une fillette rêvant à tout ce que la vie lui apporterait bientôt de bon. Puis, elle s’endort pendant quelques instants avant de se réveiller à nouveau lucide comme elle seule. Aveugle depuis près de trois ans, on dirait que sa cécité a aiguisé son ouïe, ce qui lui permet d’identifier instantanément ses proches grâce à leur voix.

Veuve depuis 38 ans, cette mère de quatre enfants, dont trois garçons, a déjà vu partir un fils pour l’éternité. « Je ne veux pas parler
de ces choses », dit-elle à voix basse. Elle ne veut pas non plus évoquer son mari décédé en 1975. Ce sont de mauvais souvenirs que
la centenaire veut oublier. « Elle n’a jamais voulu parler de son défunt mari », confie sa fille en aparté. Malgré sa santé robuste, Alcina Fénélus doit néanmoins compter sur l’aide constante d’une dame engagée à son service exclusivement. Elle prend son bain tous les jours. On ne la laisse jamais dormir seule dans sa chambre, au cas où elle aurait besoin d’aide pendant la nuit. « Mes enfants paient pour prendre soin de moi », dit-elle faiblement, demandant à tout le monde de prier pour elle, car, dit-elle, elle prie également pour tout le monde. Elle n’est pas pressée de visiter tout de suite l’au-delà, mais dit ne pas avoir peur de la mort. « Si je meurs, je vais rejoindre papa et maman », précise-elle, esquissant un sourire fugace.

Comme un monument

Autour d’Alcina Fénélus, la vie continue, sa présence animant toute la maison où vit sa fille en compagnie de son mari qui est medecin. «Tout le monde la respecte et l’honore », dit sa fille, ajoutant qu’elle reçoit des visites fréquentes des gens qui veulent voir la plus vieille
Haïtienne vivante. « Cela ne se voit pas souvent dans le pays », indique un voisin dans la quarantaine, venu assister à l’entretien. «
Des gens d’église, des élèves et des amis viennent presque chaque jour visiter ma mère », indique Lemancia Nelson, estimant que celle-ci constitue une espèce de monument pour toute la zone.

Pour Jeanne Mondestin Stinfil, sa belle-fille de 80 ans que son mari a eue avec une autre femme avant son mariage, Alcina Fénélus est une personne adorable et très accueillante. « Toute sa vie, ma belle-mère a été une personne respectable et courageuse, admet la directrice d’école active depuis plus de 30 ans dans le domaine de l’éducation. Je me sens fière de vivre auprès de cette femme qui devrait, selon moi, obtenir une distinction particulière de l’Etat avant sa mort. » Pour elle, c’est une femme qu’il faut respecter, honorer et vénérer…

De confession catholique, Alcina Fénélus a reçu dernièrement la communion administrée par un prêtre africain responsable de la
paroisse de Croix-des-Missions. Ses pièces d’identité, précieusement conservés par son beau-fils, le médecin à la retraite Ricot Jean, ont été présentés au journaliste du Nouvelliste, qui n’a aucun doute sur leur authenticité. La famille de la plus que centenaire, baptisée dans une église catholique le 18 février 1899 à Jean-Rabel, se fait d’ailleurs un plaisir de présenter son acte de naissance à tous ceux qui doutent de son âge…

Carlin Michel michelcarlin@yahoo.fr (http://www.lenouvelliste.com)

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