Haïti : Revisiter la production cinématographique de dénonciation de la dictature duvaliériste

Dans le cadre de son ciné-club, le centre culturel Anne Marie Morisset a présenté, le lundi 19 août, le documentaire, « Radio Haïti inter, le droit à la parole », du réalisateur haïtien Arnold Antonin. Cette projection a été suivie d’un débat animé par le poète et homme de gauche Guy Gérald Ménard. Ce film, réalisé il y a déjà 31 ans, raconte à la fois une page d’histoire d’une journée macabre, le 28 novembre 1980, et celle du célèbre journal de 21 heures d’Haïti Inter.

La projection du film a donné lieu à un débat sur la genèse de la dictature héréditaire de Duvalier, sur la répression sauvage et la corruption généralisée qui l’ont caractérisée. Guy Ménard nous rappelle certains crimes spectaculaires commis par les hommes de main de Papa Doc : « Au début, des hommes à la solde de Clément Barbot à bord des fameuses voitures DKW enlèvent des gens la nuit qu’on ne retrouvait plus jamais. Les tontons macoutes [corps paramilitaire de Jean-Claude Duvalier] avaient le droit de vie et de mort ». Ce parcours historique des années noires sous la dictature sanguinaire de François Duvalier est également une occasion pour le militant de situer l’héritage de Jean-Claude Duvalier.

Guy Gérald Ménard a également rappelé que l’ensemble des différents secteurs de la société haïtienne avaient pris part à la lutte contre la dictature, laquelle va aboutir à la chute du régime en 1986. « Le combat était mené à l’extérieur du pays par des compatriotes, à travers divers mouvements. L’église, les syndicats, les intellectuels, les militants de gauche, des droits humains, tous avaient combattu le régime », souligne-t-il.

La gestion de l’après Duvalier a toutefois suscité des interrogations, des critiques chez plusieurs jeunes débatteurs nés après la dictature. Analysant attentivement la situation actuelle du pays, ces derniers semblaient se demander : « à quoi cette chute a-t-elle servi réellement ? » Le poète, qui a lui-même mené le combat contre la dictature les tempère : « On a bien fait de renverser le régime qui oppressait le peuple et bafouait ses droits. »

Le titre du documentaire d’Arnold Antonin incite les débatteurs à discuter des différents « Droits de l’Homme » au sein d’une démocratie. Et l’animateur du débat a pris soin de les énumérer : droit d’expression, de pensée, les droits civils, sociaux, culturels.

Guy Gérald Ménard a également contextualisé et replacé le film, et la dictature qu’il dénonce, dans la situation géopolitique de la décennie quatre-vingt : le bloc de l’Est ou la guerre froide, le soutien des Etats-Unis à des dictatures dans la région caribéenne et sud-américaine.

La projection s’inscrit ainsi dans la mission éducative et culturelle du centre qui se donne pour objectif d’inciter les jeunes à connaitre l’histoire récente du pays et à y réfléchir, indique Kermonde Lovely Fifi, la programmatrice culturelle du centre. A l’en croire, ce travail participe à la construction de la citoyenneté, l’une des missions principales du centre.

Un travail de mémoire

« Radio Haïti inter, le droit à la parole » est le récit de la vie d’exil et d’errance des journalistes des années 1980 : Lilianne Pierre-Paul, Konpè Filo, Harold Isaac, Henry Alphonse. A travers ce film à la dimension militante, engagée, le réalisateur, lui-même réfugié au Venezuela, souhaite restituer ce pan de mémoire et cette journée sombre et tristement célèbre, qui a vu bannir et déporter des défenseurs de la liberté d’expression. Le film salue non seulement le courage et l’engagement de ces journalistes, mais rend aussi hommage à la station Radio Haiti Inter, qui fut un espace de débats, de droit à la parole et de promotion de la démocratie.

Avec ce film, Arnold Antonin veut redonner à cette journée du 28 novembre 1980 toute son importance historique. Ce documentaire se veut un témoignage vivant pour l’histoire et la mémoire. Car « lors de cette journée, écrit le réalisateur, la répression bat son plein. Un décret va interdire toute prise de parole indépendante et toute manifestation de la pensée. Les artistes, les écrivains, journalistes, les démocrates en font les frais… ».

31 ans après sa réalisation, le film d’Arnold Antonin nous convie à la réflexion sur un passé fait d’oppression et de corruption : l’ère duvaliériste. Le narrateur, Arnold Antonin, dénonce dans son récit l’arrestation d’autres militants d’alors, parmi lesquels Pierre Clitandre, Evans Paul dit Konpè Plim, les frères Hérard. Tous ont été, soit exilés, soit contraints au maquis. Ce récit dénonciateur nous montre l’ampleur féroce de la dictature et du bâillonnement de la liberté d’expression.

Un docudrame

Le film d’Arnold Antonin s’inscrit dans la catégorie des documentaires dramatisés, et les journalistes jouent parfois leur propre rôle. Des scènes fictives ont également été lire la suite sur alterpresse.org

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