MINUSTAH-Agressions sexuelles en Haïti : l’impunité de la MINUSTAH dénoncée
EXCLUSIF – En février dernier, un policier canadien oeuvrant au sein de la mission des Nations-Unies en Haïti (MINUSTAH) a quitté le pays après qu’une Haïtienne eut porté plainte contre lui pour agression sexuelle et voies de fait.
Plusieurs ONG haïtiennes doutent que le policier soit traduit en justice, même si la police arrivait à obtenir des preuves démontrant qu’il y a bien eu agression. « L’agresseur, malheureusement, risque de s’en sortir très facilement », croit Me Marie Rosy Auguste Ducéna, du Réseau national de défense des droits de la personne en Haïti. L’avocate estime qu’« il est temps que la MINUSTAH prenne ces affaires au sérieux ».
Le policier est rentré au Canada, ce qui rend un procès contre lui « très improbable », selon Me Ducéna. « Les autorités de MINUSTAH, la première chose qu’elles font, elles renvoient l’agent dans son pays, dit-elle. À ce moment c’est comme une rupture entre la personne qui porte plainte et son agresseur et par conséquent, cet agresseur a beaucoup plus de chance d’échapper à la justice. » Elle déplore aussi le manque d’information fournie par les autorités.
Peu d’allégations sont rendus publiques par la MINUSTAH, selon Danièle Magloire, de l’organisme Concertation nationale contre les violences faites aux femmes. « C’est l’omerta, la victime n’aura jamais la capacité de faire revenir ce policier », dit-elle.
Olga Benoît, présidente de Solidarité femmes haïtiennes (SOFA, Solidarite Fanm ayisyen) a également dénoncé à maintes reprises l’impunité des membres de la MINUSTAH.
Depuis 2007, il y a eu 70 allégations d’agressions sexuelles commises par des membres de la MINUSTAH. Mais aucun de ces agents n’a été traduit devant une cour de justice haïtienne. Pour Mme Benoît, ces cas « ne sont que la pointe de l’iceberg. »
Il y a toutefois des exceptions. En 2012, trois soldats uruguayens ont été condamnés pour agression sexuelle contre un jeune Haïtien de 18 ans. Les agresseurs avaient filmé le viol et la vidéo a choqué les Haïtiens. Des manifestations ont forcé les autorités à agir.
L’ONG International Crisis Group, qui œuvre pour la prévention des conflits armés dans le monde, a publié un rapport sur Haïti en août dernier. Elle recommande à l’ONU de signer une entente avec chaque pays participant à une mission, afin d’établir « des normes communes contraignantes d’enquêtes » pour « s’assurer que les Casques bleus des Nations unies ayant commis des crimes répondent de leurs actes. »
Un appel à l’intervention du Canada
De son côté, Me Ducéna fait appel au Canada, qui « a aussi une obligation morale de faire avancer ce dossier par devant les autorités judiciaires. »
Il reste la possibilité de sanctions disciplinaires contre le policier. Une enquête est en cours. S’il y a des sanctions, le corps de police impliqué ne dévoilera pas l’information, expliquant à Radio-Canada que toute mesure disciplinaire est considérée comme une affaire interne entre le policier et son employeur.
Une centaine de policiers canadiens sont présents en Haïti au sein de la mission de paix de l’ONU depuis 2004. Au total, la MINUSTAH compte environ 2250 agents de police, provenant de plus de 40 pays, et près de 7000 militaires.
Le contexte juridique
S’il avait été militaire, l’agent de la MINUSTAH aurait pu être traduit devant une cour martiale canadienne. Mais un policier ne peut être jugé au Canada pour ce genre de crime commis à l’étranger.
Le policier est en effet considéré comme un civil. L’article 7 du Code criminel canadien prévoit que les crimes sexuels contre des mineurs commis à l’étranger peuvent être jugés au Canada, mais pas quand la victime est une adulte.
Les membres de la MINUSTAH jouissent d’une certaine immunité. L’article 50 de l’accord de 2004 conclu entre l’ONU et le gouvernement haïtien prévoit qu’ils ne peuvent être poursuivis en Haïti pour des « actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
Selon Me Stéphane Bourgon, spécialiste du droit pénal international du cabinet EBLB, le policier canadien ne pourrait pas bénéficier de cette immunité puisque les gestes allégués se seraient produits en dehors de ses fonctions officielles. Il ajoute que dans un cas comme celui-ci, « la seule possibilité, c’est un procès local devant la justice haïtienne ».
Après enquête, le gouvernement haïtien pourrait en effet s’adresser à l’ONU pour demander que le membre de la MINUSTAH soit extradé afin d’être traduit devant une cour haïtienne.
L’extradition dépend aussi de la volonté politique des gouvernements impliqués. Me Bourgon croit que l’opinion publique joue alors un rôle crucial : « Si la population locale est choquée par un crime commis par un policier étranger, ça peut jouer en faveur d’un procès. »
Il estime que si la preuve est suffisante, le Canada pourrait accepter d’extrader le policier, qui devait savoir que l’immunité n’est pas totale. « Toutes les personnes qui se déploient au nom du Canada à l’étranger sont bien informées du fait que dès qu’elles mettent le pied à l’étranger, elles sont sujettes au droit et à la loi étrangère », précise-t-il.
Selon Richard Dyotte, ancien policier canadien de la MINUSTAH, la police haïtienne pourrait demander l’extradition si on lui donne les moyens de mener l’enquête. Ce policier à la retraite du Service de police de Montréal a visité les prisons haïtiennes. « Aller placer une personne de l’étranger dans une prison haïtienne, ça va être l’enfer pour cette personne-là », prévient-il.
De son côté, Me Ducéna doute que l’enquête aboutisse. « Malheureusement nous avons un système judiciaire qui est très faible », dit-elle.
Un texte de Benoît Giasson (http://www.radio-canada.ca)