Haïti – Coopération Internationale : « Assistance mortelle », de Raoul Peck, l’aide humanitaire en accusation

© VELVET FILM Tombes d’Haïtiens sommairement réalisées après le séisme.

Le réalisateur haïtien Raoul Peck dresse le constat impitoyable de la gabegie internationale qui a servi en lieu et place de l’aide qui devait être accordée à son pays après le séisme qui a fait quelques 230.000 morts en janvier 2010. A voir sur Arte le 16 avril à 20h50.

Les chiffres : on comptait 1,5 million de sans-abri, 300.000 blessés, 230.000 morts et 24 millions de m3 de débris après le séisme. En mars 2010, la communauté internationale promet 5 milliards de dollars sur 18 mois, et un total de 11 milliards sur 5 ans. Une somme conséquente pour Haïti, qui compte un peu plus de 10 millions d’habitants.

« La situation économique, sociale et politique s’est dégradée », déplore cependant Raoul Peck. « Il n’y a pas eu de reconstruction durable. La plupart des projets importants inaugurés étaient déjà en chantier avant le tremblement de terre. Beaucoup d’argent a été dépensé pour avoir la paix civile, calmer les revendications qui montent. Les pays “amis d’Haïti”, comme le Canada, commencent à avouer qu’ils ne vont pas poursuivre leur aide ni donner l’argent restant. Ils mettent tout le poids de l’échec sur les citoyens et les politiques haïtiens ».

Que sont devenues ces promesses de dons ? Où est passé l’argent déboursé, comment et par qui a-t-il été géré ? Pendant deux ans, caméra au poing, Raoul Peck et son équipe se sont penchés sur le processus de reconstruction et les coulisses de l’aide internationale.

VIDEO. Extrait du documentaire de Raoul Peck, « Assistance mortelle » (3’19)

« Je ne peux toujours pas expliquer pourquoi, malgré des milliards de dollars déversés sur cette petite caribéenne, la vie reste toujours ce fardeau insoutenable, tout cela à une heure et demie de vol de Miami Beach ».

Le cinéaste passe ainsi au crible tous les rouages de l’aide, des négociations aux Nations unies au volontaire anonyme sur le terrain, en passant par les réunions des cabinets ministériels des bailleurs de fonds. L’humanitaire a ses stars bien intentionnées : Sean Penn, Angelina Jolie, l’ancien président américain Bill Clinton, ainsi que ses colonnes de rutilants 4×4 climatisés et ses cocktails mondains… Mais au final, plus de 50 % des fonds versés reviennent aux donateurs en salaires et en commandes. Ce système absurde fait des dégâts : le peuple haïtien lui-même, qu’on était censé sauver, qui devient en plus le bouc émissaire de l’incurie généralisée. Si ça ne marche pas, c’est faute de l’incompétence haïtienne !

« Mon film parle de désorganisation et de poker menteur », explique le réalisateur. « Les grands bailleurs, les États, les institutions financières internationales, les ONG, sont isolés dans leur bulle, loin des Haïtiens. Ils sont tous dans des logiques différentes, voire opposées, sans communication ni coordination entre eux. Chacun veut être libre de gérer l’argent qu’il donne. Autre absurdité : les bailleurs ont des comptabilités et des calendriers différents. On est dans l’approximation totale. »

« Lorsque les États-Unis annoncent donner 2,5 milliards, il faut refaire le calcul. Enlever dès le départ les 8 % prélevés par ceux qui vont administrer cette somme, la Banque mondiale ou une institution quelconque » poursuit Raoul Peck. « Puis on se rend compte que 800 millions vont servir à payer les dépenses des militaires que personne n’a appelés, mais qui ont débarqué au nombre de 20.000, dont 10.000 sur le terrain et 10.000 autres pour s’occuper d’eux… Quand on annonce 2,5 milliards, ce n’est donc pas une aide à Haïti mais à l’ensemble du dossier, dépensée en priorité dans et pour le pays qui donne ! On sait aussi que près d’un milliard de dollars dort encore dans les banques américaines. Entre une aide promise, une aide débloquée, une aide dépensée et une aide affectée, les différences sont sensibles… »

VIDEO. Interview de Raoul Peck (3’51)

« L’aide au développement est une grosse machine qui a plus à voir avec les pays donateurs qu’avec les pays receveurs. Je pense que le cas haïtien est probablement, et j’espère, l’une des dernières catastrophes qui doivent être réglées de cette manière. Haïti est la preuve finale que ça ne fonctionne pas. Il faut d’abord que les pays donateurs et les opinions publiques de ces pays-là se rendent compte que le premier problème essentiel c’est eux ».

 

« Assistance mortelle », documentaire de Raoul Peck
Coproduction : Arte France, Velvet Film, Figuier Production, Velvet Film Inc., RTBF, Entre Chien et Loup (France, Haïti, Belgique, USA, 2012, 1h40mn)
Narration : Céline Sallette et Raoul Peck
(http://www.la1ere.fr/2013/04/15/haiti-assistance-mortelle-de-raoul-peck)

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