Haïti: Chronique d'un "Livres en liberté"

Par Marc Emmanuel Dorcin

La vingtième édition de Livres en Liberté a eu lieu à Port-de-Paix. C’est la première fois que la ville de Bien-Cher Louis-Pierre, de regrettée mémoire, accueille « la caravane d’écrivains en marche », initiative de la Bibliothèque Georges Castera du Limbé que dirige le très remuant Clément Benoit II. Chronique d’un « Livres en liberté ».

Le hall d’attente de l’aérogare Guy Malary devient une véritable ruche en ce début de week-end. Des gens arrivent. Des gens partent. Des files d’attente. Les hôtesses s’agitent. Les petits avions se remplissent et se désemplissent au rythme des départs et des arrivées. Des porteurs de bagages arborant des t-shirts frappés du logo des compagnies aériennes s’activent. Toujours aux aguets. Prompts à offrir leurs services pour le moindre détail. Pourquoi autant de dévouement de leur part? Ce réflexe, cette énergie à vouloir porter et le passager et ses bagages? Ce monsieur là-bas avec le même t-shirt n’arrête pas de sourire à une quinquagénaire qui finit par lui glisser un billet vert. Ah! Ça y est! Le fameux pourboire!

L’invitée d’honneur de cette 20e édition de Livres en Liberté qui s’est tenue les 28 et 29 novembre dernier, Evelyne Trouillot, est là depuis une demi-heure. Elle attend le prochain vol de la Tortug’Air pour Port-de-Paix. Son époux, Guy Gérald Ménard, l’accompagne en la circonstance. Surtout ne pas les déranger. Ils lisent. Littérature, quand tu nous tiens…

Smoye Noisy de Caribean Group oublie son billet. Juste le temps pour lui d’aller le chercher. Marc Exavier et Christophe Philippe Charles (un poète en danger de mort selon Dany Laferrière) ne feront plus le voyage avec nous. Empêchés. Le Secrétaire d’Etat à l’Intégration des Personnes Handicapées, le Dr Michel Péan, lui, sera de la partie. Il profitera de cette 20e édition de Livres en liberté pour promouvoir la Convention relative aux Droits des personnes handicapées.

« La Tortug’Air annonce aux passagers du vol X à destination de Port-de-paix… » Il était temps…
Là-haut, le soleil vient du fonds de la mer
Grande surface grise, étincelante, figée, asphaltée
L’oiseau gronde
Cherche l’équilibre…Le coeur n’aime pas ça…

La jeunesse port-de-paixienne est déjà là sur le tarmac pour accueillir les invités. Clément Benoit ne sait plus où donner la tête. Comme un maître d’école emmenant ses élèves à la messe du dimanche. Tapis rouge. Des fleurs pour une Evelyne Trouillot émue, quelque peu surprise par l’accueil que lui réservait cette jeunesse. Discours. Accolades. Livres en liberté n’est pas seulement Livres en liberté. C’est tout un package. Et le cortège s’ébranle sous les sirènes des motards. Le tour de la ville sous un nuage de poussière. Port-de-paix n’a pas la beauté de ses jeunes filles. Ni le regard accueillant de ses gens. Là-bas, Capois-la-Mort veille encore sur la ville. Une ampoule électrique attachée à sa figure. Pour éclairer peut-être sa colère face à cette ville qui n’a jamais su s’élever à la dimension de sa bravoure, de ses exploits lors de la guerre de l’indépendance.

Samedi 28 novembre. La première journée de Livres en liberté est un grand succès. Les représentants des Presses Nationales d’Haïti se frottent les mains. Les livres se vendent comme de petits pains chauds. Les Editions Fardin et les Éditions de l’Université d’Etat d’Haïti ne sont pas en reste.

Des jeunes et des moins jeunes, des professionnels, tout le monde veut un livre, une signature ou tout au moins voir les auteurs en signature, visiter l’exposition des portraits d’écrivains haïtiens. Evelyne Trouillot, Clausel Midy, Guy Gérald Ménard n’arrêtent pas de signer. Deux jeunes auteurs sont parmi eux. La relève quoi! Le premier, Jordan Hérard Verdule, fils de la cité, signe son premier recueil  » La vie d’un sentiment mort ». Michael Myrtil, lui, vient de Port-au-Prince. On lui doit « L’Aube à ma nuit noire ». Plus tard, il y aura une causerie avec Evelyne.

Port-de-Paix a enfin son « Livres en liberté. » C’est peut-être la meilleure édition depuis dix ans. Tout a été planifié. Déjà dans la matinée de ce vingt-huit novembre, à l’Université Valparaiso, fierté de la ville, siège principal de l’événement, une grande cérémonie d’ouverture a eu lieu et à laquelle ont pris part le maire de la ville, Guillet Salvador, le directeur de l’Alliance Française, Lesly Gelin dont l’intervention a séduit la foule venue assister à cette cérémonie ponctuée de morceaux musicaux savamment exécutés par une fanfare composée de jeunes…

Dimanche 29 novembre. Deuxième et dernière journée de Livres en liberté. 9H00 du matin. On est déjà installé. On attend acheteurs et visiteurs. Mme Kelsie Jean-Baptiste, coordonnatrice de Livres en Liberté à Port-de-Paix nous rassure. Les gens sont à l’église. Après la messe ou le service d’adoration, on verra. En attendant on installe un micro. On se succède pour lire un extrait de tel livre, de tel recueil. Comme dans le « Cercle du Livre », l’animateur Samy Janvier égrène les premiers vers de Nedjé du poète Roussan Camille:
« Tu n’avais pas seize ans
Toi qui disais venir du Danakil
Et que des blancs pervers
Gavaient d’anis et de whisky… »

Les jeunes filles aiment ça. Les gars aussi. Ils applaudissent. Dr Péan veut dire un texte. Il est courageux cet homme. Un moral toujours au top. Le DJ met la musique trop fort. Une vraie ambiance de carnaval. Il fait chaud. Pourtant une fine pluie s’abat sur la ville. Certainement un zombi qui bat sa femme. La pluie devient plus forte. Il faut vite ramasser les livres et les placer en lieu sûr. Les acheteurs n’auront pas été nombreux aujourd’hui. Ce soir, l’Alliance Française accueille la cérémonie de clôture de cette vingtième édition où l’association des jeunes intellectuels de Port-de-Paix ont rendu hommage au père de Livres en Liberté.

Toute la ville circule à moto
J’aime l’équilibre
Je hais la moto
Faut une certaine vitesse
Pour trouver l’équilibre
Je préfère l’oiseau malgré tout
J’avais juré…J’ai un peu honte de moi.
Alliance Française de Port-de-Paix. Tenue de soirée. Récital de textes sur fond de musique. Les jeunes Port-de-Paixiens sont bourrés de talents. Remerciements. Discours d’adieu. La prochaine édition se déroulera à Aquin.

Marc-Emmanuel Dorcin

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