Les quartiers voisins de Carrefour-Feuilles se vident de leurs habitants

Son bébé de quatre mois sur les bras, une couverture, une enveloppe contenant des documents importants et un sac à dos, c’est tout ce que Laura a pu emporter avec elle jeudi soir. Cette jeune femme de 28 ans vivait paisiblement à la rue Capois, non loin de la Place Jérémie, depuis une dizaine d’années. Comme des milliers d’autres personnes, elle est contrainte d’abandonner sa maison pour se mettre à l’abri. En larmes, Laura se demande ce qu’elle a fait pour mériter un tel sort. Elle n’est pas la seule à se poser cette question.

Chacun apporte avec lui ce qu’il peut, ce qu’il a de plus précieux, selon ses moyens de transport ou son adresse si elle est encore accessible. Certains ne savent pas vraiment où ils vont. Comme ce jeune homme rencontré avec quelques vêtements dans son sac à dos et son appareil de radio, au Champ de Mars. « Rien ne vaut une vie, dit-il. C’est dommage que les habitants soient abandonnés par les autorités. C’est vraiment triste et cruel », balance le jeune trentenaire, maillot jaune, casquette bleue vissée sur la tête. « Je ne sais pas encore où je vais dormir ce soir. Je peux mourir ce soir, mais pas à Carrefour-Feuilles », ajoute le jeune homme qui tenait un petit commerce de boissons gazeuses à l’avenue Magloire Ambroise prolongée.

Marjorie, qui habitait à Fouchard (Carrefour-Feuilles), s’est réfugiée chez une amie à l’avenue Martin Luther King (Nazon) avec ses deux enfants. Son compagnon est aussi chez un ami à lui. « Nous n’avons pris que des documents importants et des vêtements. Pour le reste, ils sont à la merci des bandits armés. J’ai des amis qui ont tout perdu à Carrefour-Feuilles », raconte Marjorie.

Christophanie Estève habitait à Impasse Eddy à Carrefour-Feuilles depuis 2008. Elle a fui son domicile depuis deux semaines en emportant avec elle son passeport et ses diplômes. Jeudi soir, la bibliothécaire et l’étudiante finissante en lettres modernes à l’Ecole normale supérieure a appris que sa maison a été pillée et incendiée. « Je pensais qu’il y aurait un répit pour permettre aux gens de rentrer chez eux. C’est bien dommage. On a tout perdu. Beaucoup de maisons ont été pillées et incendiées. »

Si certains ont le privilège de trouver refuge chez un proche ou de louer une nouvelle maison dans un autre quartier, d’autres n’ont que le choix de dormir sur des places publiques, dans des écoles ou des églises. Le Gymnasium Vincent et plusieurs écoles abritent des personnes déplacées depuis plusieurs semaines. Selon le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), 24 centres scolaires publics et privés servent de refuge aux déplacés dans la zone métropolitaine. « 3 100 enfants et jeunes déplacés se trouvent dans ces 24 centres scolaires servant d’abris provisoires », souligne le MENFP dans sa première évaluation s’inscrivant dans le cadre du travail d’identification des élèves et enseignants déplacés.

De son côté, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires en Haïti (OCHA), dans un communiqué en date du 31 août, indique que plus de 10 000 personnes ont trouvé refuge dans plus de vingt sites spontanés et des familles d’accueil suite à la dernière vague de violence.

Dans des vidéos circulant sur les réseaux sociaux, Carrefour-Feuilles, ce quartier jadis densément peuplé, ressemble de plus en plus à un quartier mort, abandonné, avec ses rues désertes, des maisons pillées et incendiées. Même le commissariat du quartier a subi le même sort. Dans des quartiers avoisinants, de nombreuses personnes s’empressaient vendredi de récupérer des objets importants pour fuir la zone. Agrippés à des tap-tap, des motocyclettes, des camions ou à pied, des gens s’empressaient de fuir leur quartier sous des détonations intenses d’armes automatiques.

Des habitants du centre-ville, de Turgeau, Pacot… se préparent aussi à « courir ». « Nous avons mis nos documents et d’autres objets importants dans des sacs plus légers, au cas où, confie une journaliste qui habite à Turgeau.  On ne sait pas encore où aller. Se mettre à l’abri, c’est le plus important pour le moment. Pour le reste, on verra. »

Face aux rumeurs selon lesquelles les gangs se rapprochaient de plus en plus de Canapé-Vert, des riverains ont décidé vendredi de renforcer les barrages dans certaines artères, ce qui a causé des embouteillages sur des centaines de mètres. « Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, c’est à nous de nous protéger », a lancé un jeune homme, portant une cagoule devant un barrage fait de deux pylônes électriques.

Le gouvernement n’a encore rien dit sur cette nouvelle vague de violence qui  fait tomber de nouveaux quartiers sous le contrôle de gangs armés. Alors que la Police nationale d’Haïti a annoncé vouloir reprendre le contrôle de Carrefour-Feuilles en mobilisant ses différentes unités spécialisées, ce sont les bandits armés qui en ont encore le contrôle.

 

 

 

Source: Le Nouveliste

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *