Haïti a besoin d’une force internationale spécialisée, selon La Lime

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation à Haïti, l’envoyée de l’ONU a décrit mardi un regain de violences inédit depuis des décennies, tout en voyant un espoir dans le régime des sanctions imposés aux gangs haïtiens qui terrorisent le pays, autant que dans le récent Accord de consensus national qui motive les acteurs politiques et sociaux. A condition qu’une force internationale spécialisée aide à stabiliser ces acquis.

D’emblée, la cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Helen La Lime, a souligné la gravité de la situation, rappelant qu’en ce mois de janvier, les cérémonies de commémoration de l’indépendance haïtienne, et même celles du terrible tremblement de terre de 2010, ont été éclipsées « par la crise prolongée à laquelle le pays est confronté, alors que des années de redressement durement acquis sont en train d’être anéantis et que les Haïtiens peinent à remettre le pays sur la voie de la démocratie ».

Selon la Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, la violence liée aux gangs a atteint « des niveaux jamais vus depuis des décennies ». 1.359 enlèvements ont été constatés en 2022 – plus du double de 2021 -, soit une moyenne d’environ quatre par jour. Les meurtres sont également en hausse d’un tiers depuis l’année dernière.  2.183 cas ont été signalés en 2022, touchant presque tous les segments de la société, comptant parmi les victimes un ancien candidat à la Présidence et le Directeur de l’Académie nationale de police.

Citant les prochains rapports du BINUH et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Helen La Lime a attribué cette flambée de violence aux guerres de territoires opposant deux coalitions de gangs haïtiens, le G9 et le G-Prep, qui ont atteint des niveaux sans précédent dans plusieurs quartiers de Cité Soleil, dans la capitale Port-au-Prince, avec des stratégies explicites visant à assujettir les populations locales et à étendre leurs territoires.

La Représentante spéciale a ainsi décrit les meurtres délibérés d’hommes, de femmes et d’enfants par des tireurs embusqués sur les toits, les viols de dizaines de femmes, et même d’enfants âgés d’à peine dix ans, utilisés comme tactique pour répandre la peur et détruire le tissu social des communautés qui sont sous le contrôle de gangs rivaux.

Autre méthode, le siège ou le déplacement forcé de populations entières déjà en proie à une pauvreté extrême. « Les gangs ont intentionnellement bloqué l’accès à la nourriture, à l’eau et, au milieu d’une épidémie de choléra, aux services de santé », a souligné Helen La Lime, en évoquant les conséquences terribles des violences pour le pays.

« Près de cinq millions de personnes sont confrontées à une faim aiguë », a-t-elle déploré. « Et bien que 90% des écoles fonctionnent maintenant, des milliers d’enfants, en particulier ceux qui vivent dans les zones touchées par les gangs, n’ont pas encore commencé l’année scolaire, alors que des témoignages de plus en plus nombreux font état de recrutements de mineurs par les gangs ».

Face à cette situation, la Représentante spéciale estime déjà que les besoins du plan de réponse humanitaire pour Haïti seront probablement doubles de ceux de l’année dernière et exhorte les donateurs à répondre généreusement aux besoins immédiats ainsi qu’aux problèmes de développement à long terme du pays.

Helen La Lime a aussi rappelé au Conseil de sécurité que depuis l’expiration du mandat des derniers dix sénateurs en poste en Haïti le 9 janvier, le pays ne compte plus un seul élu politique en fonction. Mais elle considère que ce vide institutionnel, bien qu’il représente un défi de taille, offre à Haïti l’occasion de faire le point, « d’examiner les causes profondes du dysfonctionnement et de mettre le pays sur la voie d’une solution ».

A cet égard, elle cite deux évolutions clés qui, si elles sont maintenues, « pourraient contribuer à surmonter la crise et alléger des souffrances indicibles ; en ouvrant la route à un retour à la responsabilité, à l’Etat de droit et au rétablissement des institutions démocratiques ».

En premier lieu, le régime de sanctions issu de la résolution 2653 du Conseil de sécurité, visant ceux qui soutiennent les activités criminelles et la violence des groupes armés ouvre à ses yeux un espace de dialogue politique sur les réformes nécessaires, alors qu’on observe des développements encourageants dans l’amélioration du système judiciaire.

Helen La Lime a noté une autre évolution positive : la signature, le 21 décembre de de l’« Accord de consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes », signé par un large éventail de personnalités politiques, d’organisations de la société civile, d’autorités religieuses, de syndicats et de représentants du secteur privé. Il définit un calendrier pour la mise en place d’un gouvernement élu d’ici février 2024 et énumère les mesures immédiates à prendre pour promouvoir les réformes fiscales visant à accroître le recouvrement des recettes de l’État et à rétablir les services publics.

Face au vide institutionnel, un « Haut Conseil de transition » a maintenant été établi pour assurer des nominations à la Cour de Cassation, au Conseil électoral provisoire et former un comité de révision de la Constitution, alors que des tables rondes sur une possible feuille de route électorale et un plan de sécurité nationale commence à susciter l’assentiment des acteurs politiques et d’un nombre croissant de décideurs haïtiens.

Selon la Représentante spéciale, l’Accord de consensus national, « s’il est loin d’être un fait accompli, représente le signe le plus prometteur qui se dégage des efforts de dialogue jusqu’à présent ».

« Le pays a un besoin urgent de voir ceux qui occupent des postes d’influence et de leadership – au niveau national ou local, et dans la diaspora – mettre de côté leurs différences et contribuer à la restauration des institutions étatiques légitimes », a-t-elle dit.

Helen La Lime a particulièrement souligné l’importance prioritaire que revêt la Police nationale d’Haïti, dotée cette année d’un budget de 162 millions de dollars, en hausse de 50%, de plus de 700 nouvelles recrues, et de véhicules blindés nécessaires à sa confrontation avec les gangs, mais elle a rappelé le besoin d’appui par une force internationale spécialisée, « demandée par le gouvernement haïtien depuis octobre sans réponse concrète ».

« La réalité est que sans ce déploiement international, opérant de manière intégrée avec la Police, les effets très positifs du processus politique et des sanctions resteront fragiles et susceptibles d’être inversés à Haïti », a conclu la Représentante spéciale.

 

 

 

Source: Metropole Haiti

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