Martissant : La Vallée de l’ombre de la mort
Impossible de fréquenter la route nationale numéro 2 à la sortie sud de la capitale, sans risquer une attaque de bandits. De façon indiscriminée, les gangs armés qui s’affrontent depuis plusieurs mois pour le contrôle de ce quartier à Port-au-Prince ouvrent le feu sur tout ce qui bouge, véhicules privés comme bus de transports en commun. Ils arnaquent les motos-taxis, capturent les camions-citernes. Ceux qui tentent le passage se font tuer ou détrousser dans le meilleur des cas, avec la peur et le stress pour compagnons de route. Les dernières victimes en date connues, Esperanta Guerrier, 95 ans, et Reginald Chéry tués dans leur voiture à Martissant. Ils avaient tenté de passer, samedi 6 novembre 2021.
Plusieurs centaines de personnes sont bloquées à Port-au-Prince depuis plusieurs jours. Impossible pour elles de traverser Martissant où des groupes armés s’affrontent violemment. Ceux qui veulent entrer dans la capitale sont eux bloqués à Carrefour. Les imprudents qui fréquentent cette zone de guerre, en plein cœur de la capitale, le paient de leur vie ou d’une très grosse frayeur. Quand le sang ne coule pas, la sueur vous inonde.
« Esperanta Guerrier, 95 ans et son chauffeur Réginald Chéry ont été tués dans leur voiture à Martissant 7 ce samedi 6 octobre. Trois autres personnes qui étaient aussi dans le véhicule ont été grièvement blessées au cours de cette attaque », a confié au Nouvelliste le juge de paix de Carrefour, Moïse Jean qui a procédé au constat des cadavres emmenés devant le commissariat de la Police nationale d’Haïti de Carrefour, le fameux Oméga.
Selon le juge de paix, les bandits ont confisqué le véhicule des victimes après l’attaque et ont exigé d’un chauffeur de tap-tap qui fréquentait la zone de conduire les blessés et les corps sans vie à Carrefour. Ni les morts, ni les blessés n’ont pu entrer à Port-au-Prince, leur destination.
D’autres témoins qui se sont confiés au Nouvelliste affirment avoir constaté plusieurs corps sans vie au niveau de Martissant 23. Cependant, personne n’est pour le moment en mesure d’avoir le nombre des personnes tuées ou blessées ces derniers mois dans cette zone. Pour le constat de police ou le procès-verbal des juges, il n’y a pas de volontaire. Ni les morgues ni les ambulances ne ramassent plus les victimes sur ce tronçon de la route nationale numéro 2. Les chiens ou les porcs s’occupent des malheureuses victimes.
Entre ce vendredi 5 novembre et samedi 6 novembre 2021, le service d’urgence de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) a reçu une vingtaine de plaies par balle, selon ce qu’ont fait savoir au journal des sources qui travaillent dans le centre hospitalier appelé couramment l’hôpital général.
« Au moins deux cas ont été opérés d’urgence au service de chirurgie, notamment une dame ayant reçu un projectile dans le flanc gauche de l’abdomen qui écrase la région lombaire gauche. De ces vingt cas de plaies par balle, une dizaine de personnes dont une femme pratiquement abandonnée à l’entrée de l’HUEH, ont été référées par le centre hospitalier Médecins Sans Frontières au service d’orthopédie, d’Oto-rhino-laryngologie, et au service de chirurgie générale », explique notre source.
Des traitements conservateurs ont été initiés pour les moins graves, d’autres sont en attente d’une intervention chirurgicale. Tout cela survient dans un contexte de pénurie de carburant entraînant coupure d’électricité, manque d’oxygène de façon sporadique à l’hôpital et difficultés pour le personnel médical d’être à son poste, précise notre contact à l’hôpital général.
Depuis le 1er juin, les gangs armés de Village de Dieu et de Grand-Ravine s’allient pour affronter le gang de Tibwa. L’enjeu principal est le contrôle de Martissant 4 où sont logés un complexe commercial et un terminal pétrolier. Ce tronçon contrôle aussi l’accès à une bonne partie du département de l’Ouest, les départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand-Anse. Martissant est la porte d’entrée et de sortie de la capitale pour la moitié du pays. C’est cette position stratégique pour contrôler les flux de transports de marchandises.
Victimes collatérales de la guerre des gangs, des milliers de personnes ont dû fuir ce quartier pour se réfugier à Carrefour et dans les zones avoisinantes. Les forces de l’ordre n’ont jamais pu reprendre le contrôle de cet important axe routier depuis le début du mois de juin.
Depuis une visite éclair de Claude Joseph, à l’époque premier ministre a.i., aucune autorité politique ne s’est rendue dans cette partie du territoire. Il n’y a pas non plus de déclaration des autorités policières sur l’évolution du conflit. Les organismes de défense des droits humains traitent de moins en moins de la situation à la sortie sud de la capitale et aucun décompte des morts et des blessés n’est tenu.
A Martissant, dans la Vallée de l’ombre de la mort, les balles font la pluie et le beau temps, selon le bon vouloir des chefs de gangs et de leurs soldats.