Les gangs sont sur le marché des produits pétroliers

Autour du terminal de Varreux, à Cité Soleil, redevenu un no man’s land, les bandits, aussi enragés que les personnages de Mad Max, prennent en chasse et volent des camions transportant des produits pétroliers. La fréquence de ces actes a augmenté depuis plus d’un mois, a confié au journal Marc André Dériphonse, transporteur de produits pétroliers, de station d’essence et responsable de l’ANAPROSS, le mardi 5 octobre 2021. «La semaine dernière, en un seul jour , ils se sont emparés de trois camions. Le jour suivant, ils en ont pris deux », a-t-il confié, soulignant que, dans certains cas, la cargaison est déportée et vendue au marché noir. Dans d’autres cas, les bandits négocient un prix pour récupérer la cargaison, le camion, le chauffeur et son assistant.

Les bandits ont leurs propres sites pour effectuer ces opérations à Wharf Jérémie ou dans les parages de l’Aciérie d’Haïti, à Drouillard, au nord de Port-au-Prince, a expliqué pour sa part Marc Antoine Nessi, porte-parole de l’ANAPROSS.

« Tout le monde dans le secteur, transporteur ou propriétaire de station d’essence qui a son propre camion, est à l’arrêt. C’est un défi de se rendre au terminal pour approvisionner le réseau de distribution. C’est la situation au moment où nous nous parlons », a alerté Marc André Dériphonse, qui dit avoir écrit au ministre du Commerce et discuté de la situation au téléphone avec le chef de la Police nationale d’Haïti (PNH), Léon Charles.

Pour les propriétaires de stations-service, la situation est insoutenable. C’est la soupe à la grimace à chaque attaque. 80 % des stations d’essence font de l’auto-transport. Lorsqu’on vole la cargaison, notamment le camion, c’est un coup dur. Le propriétaire paie, dans certains cas, pour obtenir la libération du chauffeur, a poursuivi Marc André Dériphonse.

Le président de l’ANADIPP, David Turnier, a soutenu que les membres de son association vivent la même galère face aux bandits qui s’emparent des camions. « La situation est catastrophique. Nous perdons presque 50% de notre volume à la pompe. Nous fonctionnons pratiquement tous les trois jours, 12 jours par mois. Nos employés sont dans le désarroi. Si la situation perdure, le secteur formel de vente de produits pétroliers va s’effondrer et les consommateurs continueront d’acheter de l’essence dans des gallons et des jerricanes », s’est alarmé David Turnier.

Il y a, selon Turnier, une autre source d’insécurité à ne pas négliger. «  Le carburant que l’on n’importe pas en quantité suffisante dans le pays sur une base normale et régulière est aussi source d’insécurité que nous vivons aussi », a déploré David Turnier qui rêve d’un marché où les compagnies importantes, l’Etat régule, perçoit ses taxes, dans la quiétude indispensable aux opérations commerciales. Pour le moment, cette situation idéale n’existe pas.

La page de la pénurie d’essence n’est pas tournée. Les automobilistes font le pied de grue dans les rares stations d’essence qui vendent du carburant et des entreprises  voient rouge face à l’impact négatif du problème d’approvisionnement en produits pétroliers sur leurs opérations.  Les représentants de trois chambres de commerce et d’industrie doivent discuter avec le Premier ministre Ariel Henry des problèmes d’approvisionnement en produits pétroliers.

« Nous faisons appel à votre disponibilité afin d’organiser une rencontre dans les meilleurs délais pour discuter des problèmes relatifs à l’approvisionnement de produits pétroliers stratégiques, affectant tous les secteurs de la vie nationale sans exception », ont écrit les responsables de l’ADIH, de la CCIO et de l’Amcham. « La situation actuelle, qui ne peut être caractérisée que comme catastrophique, s’aggrave chaque jour.  Le cours naturel des choses nous emmènera droit vers une catastrophe économique et sociale sans précédent. Nous nous devons donc de tirer la sonnette d’alarme, de partager avec vous les réalités du secteur, les prévisions sombres et conséquences qui nous attendent tous, mais aussi certaines pistes de solution, afin que votre gouvernement puisse faire des choix jugés appropriés en connaissance de cause », ont indiqué les signataires de cette lettre en date du 1er octobre 2021.

Le Nouvelliste a appris de sources concordantes que cette réunion devait se tenir mardi en fin d’après-midi. Le problème d’approvisionnement, lié aux conditions de sécurité qui se sont aggravées autour des terminaux pétroliers, a été exposé au Premier ministre Henry, il y a un mois, par l’Association des professionnels du pétrole (APPE) .

SOS de l’APPE aux autorités

L’Association des professionnels du pétrole (APPE), dans une lettre en date du 7 septembre écoulé a attiré l’attention du ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Rockefeller Vincent, « sur la situation d’insécurité qui compromet le chargement des camions dans les terminaux pétroliers ».

« Le terminal de Martissant est fermé depuis le 5 juillet, depuis que des gangsters ont tiré sur le navire de propane alors qu’il déchargeait sa cargaison. Le terminal de Thor est en rupture de stock d’essence à répétition, car tous les clients viennent y charger leurs camions, lorsqu’ils ne peuvent plus accéder au terminal de Varreux ou lorsque les files d’attente y sont trop longues (ce qui est le cas lorsqu’un navire décharge sa cargaison après une période de rupture de stock). Le terminal de Varreux est inaccessible depuis le 1er septembre, car les gangsters bloquent les accès routiers », pouvait-on lire dans cette lettre de l’APPE à l’ex-ministre de la Justice. « D’autres part, le blocage du terminal de Martissant contribue à engorger le terminal de Varreux », selon l’APPE.

« Les capacités de stockage de Varreux représentent environ 70 % de la capacité totale de stockage de produits pétroliers du pays et il assure le stockage pour toutes les compagnies pétrolières présentes sur le marché. Cette situation pénalise les compagnies pétrolières, leurs clients et le pays, car les ruptures de stock entravent l’ensemble de l’activité économique », selon l’APPE.

« Les compagnies pétrolières travaillent dans des conditions de sécurité très dégradées et sont à la limite de ce qu’elles peuvent faire pour assurer la sécurité de leurs personnels, de leurs installations et pour continuer de ravitailler leurs clients et permettre ainsi le fonctionnement de l’économie du pays », lisait-on dans la lettre de l’APPE. « Tout en reconnaissant les difficultés du moment, c’est un véritable appel à l’aide que l’APPE lance aux autorités  du pays pour garantir le libre accès aux terminaux pétroliers », selon cette lettre signée par Randolph Rameau, président de l’APPE.

Le Premier ministre Ariel Henry, les ministres de l’Economie et des Finances, du Commerce et de l’Industrie, le directeur de l’ANARSE ont reçu copie conforme de cette lettre.

Au pied du mur, les autorités peinent à contenir les bandits. Le Premier ministre Ariel Henry, entre-temps, brasse de l’air en tête d’un gouvernement fantomatique. Si le général en chef de l’Armée d’Haïti , Jodel Lessage, transparent, invisible, est épargné des critiques, le chef de la police, Léon Charles, est cloué au pilori. Le Nouvelliste a appris ce mardi  de source proche de la Police nationale d’Haïti (PNH) que Léon Charles n’a pas tous les moyens de sa mission. Il a fait des réquisitions d’équipements qui ne sont pas exécutées depuis six mois, a confié la source.

Si, entre le 22 et le 23 septembre 2021, le ministre de l’Économie et des Finances a payé plus de 46 millions de dollars à BB Energy USA LCC pour l’acquisition de 445 000 barils de produits pétroliers,  à savoir 200 000 barils de gazoline, le même volume pour le diesel et 45 000 barils de jet fuel, soit la moitié de la capacité de stockage du pays, le marché, en attendant d’autres arrivages, est encore en mode pénurie et ou rationnement drastique forcé. Il chancelle sous les coups de boutoir des gangs qui entrent de plain-pied dans le marché du gaz.

 

 

 

 

 

Source: Le nouveliste

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *