À Port-au-Prince, il y a une menace sismique « scientifiquement avérée sous nos pieds », prévient le géologue Éric Calais
La faille Enriquillo, qui s’étend sur 300 kilomètres de la commune de Tiburon à Pétion-Ville, a rompu de 80 kilomètres sur ces 10 dernières années durant le tremblement de terre du 12 janvier 2010 et celui du 14 août 2021, a rapporté le géologue français Éric Calais, lors de sa participation à l’émission « Dèyè Kay », diffusée sur télé 20 le mardi 13 septembre. Il reste 220 kilomètres de cette faille qui, depuis le XVIIIe siècle, n’a pas rompu, a-t-il prévenu. Ces segments représentent de véritables dangers, notamment pour les habitants de Port-au-Prince.
« Un segment de cette faille qui va de l’Asile à Petit-Goâve, pour le moment, est resté calme. On ne connaît pas de séisme important dans l’histoire de cette région. Le second segment est beaucoup plus problématique, il va de Gressier à Malpasse. On peut l’appeler le segment de Port-au-Prince. Il faut regarder les choses en face, le tremblement de terre qui a affecté Port-au-Prince n’a pas eu lieu à Port-au-Prince, il avait son épicentre à Léogâne. Port-au-Prince a été victime des vagues sismiques. Si la rupture se trouve à 30 kilomètres, mais sous nos pieds, il s’agira alors d’autre chose. Et dire que des progrès faramineux en termes de construction n’ont pas été faits depuis 2010. Tout cela est très problématique », a analysé le géologue Éric Calais.
Le segment qui s’étend de Gressier à Pétion-Ville peut rompre à n’importe quel moment : demain, dans 10 ans ou dans 50 ans… Les scientifiques n’ont pas les moyens de déterminer le timing, a souligné le professeur Calais, qui croit, en revanche, que les dégâts seront considérables. « Si le segment Gressier-Pétion-Ville se rompt, ce sera problématique. On peut tout simplement faire l’exercice qui consiste à imaginer que l’épicentre du tremblement de terre de 2010 ait eu lieu à Pétion-Ville ou à Carrefour. On comprendra tout de suite la vulnérabilité face à la densité de la population dans cette région sur quelques dizaines de kilomètres ajoutées à des constructions et surtout des constructions informelles qui sont souvent mal dimensionnées. Une menace sismique qui encore une fois, scientifiquement avérée, est sous nos pieds à Port-au-Prince », a-t-il fait savoir.
« L’impact d’un épicentre qui se situerait sur le segment Gressier- Pétion-Ville serait vraiment très important. La plaine du Cul-de-Sac ne serait pas épargnée et même des zones comme Canaan ressentiraient ce séisme très fortement et y aurait sans doute des dégâts. il ne faut pas imaginer que le séisme c’est pour les autres. Les ondes sismiques se propagent. Sur une zone de quelques dizaines de kilomètres, évidemment le séisme va être ressenti très fortement. Il va provoquer des dégâts aux habitations qui sont mal construites», a poursuivi le chercheur à l’Institut de la recherche pour le développement.
C’est compliqué, mais des solutions existent si l’on décide de mettre sur pied une stratégie pour améliorer les choses, aller vers l’état actuel de la connaissance scientifique du bâti et de sa vulnérabilité vers un bâti résilient avec des priorités. « Le risque est là. La peur ne va servir à rien. Il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites déjà dans le domaine de la recherche scientifique sur la compréhension des failles, des séismes. Il y a énormément de travaux qui restent à faire. Il y a une avancée dans le cadre de la formation de jeunes cadres qui se sont appropriés les méthodes scientifiques qui savent les mettre en œuvre. Il faut continuer à les accompagner. Il faut continuer à soutenir des équipes de recherche dans le domaine sismologique et dans d’autres domaines. Il faut une stratégie pour faire en sorte de construire en tenant compte de cette menace sismique. Les constructions existantes, on peut les renforcer. C’est coûteux, complexe. Mais il faut prioriser les bâtiments publics, les plus importants, les écoles, les hôpitaux, entre autres », a préconisé M. Calais.
Face à la menace sismique, il faut construire la résilience. « La résilience se construit. Il n’y a aucun projet de 3 ans, 5 ans qui arrivera au bout de ce problème. Il faut le faire dans la durée. Sur le plus long terme. Rien de tout cela ne peut se faire en économisant sur la connaissance scientifique. S’il n’y a pas une connaissance scientifique locale qui est développée en même temps qu’une capacité de recherche sur ces questions on n’avancera pas non plus ». « Il faut mettre tout en œuvre de manière conjointe entre les scientifiques, les ingénieurs et le gouvernement. Il faut engager une véritable réflexion sur ce sujet », a avancé le sismologue.
Source: Le Nouveliste