Décrets à tour de bras, les Etats-Unis appellent le président Moïse à la « retenue »

Les Etats-Unis, sans annoncer expressément la fin de la récréation, ont invité le président Jovenel Moïse, leur allié, à la retenue, sept mois après le dysfonctionnement du Parlement et la publication de plusieurs décrets.« Les États-Unis encouragent le gouvernement haïtien à faire preuve de retenue dans la publication de décrets », lit-on dans un tweet de l’ambassade, mardi 25 août 2020.

Pour les Américains, le président Moïse devrait utiliser « ce pouvoir pour planifier élections législatives et pour des questions de vie, de santé et de sécurité jusqu’à ce que le Parlement soit rétabli et reprenne ses responsabilités constitutionnelles. »

L’ambassade, dans un second tweet, a indiqué qu’un « Parlement haïtien élu devrait avoir la possibilité de revoir et d’entériner, de rejeter ou d’amender les lois adoptées par décret ».

« Nous soutenons les institutions démocratiques d’Haïti »,  lit-on dans ce message qui intervient moins de 15 jours après les discussions entre le président Jovenel Moïse et le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo.

Plusieurs leaders de l’opposition interrogés par Le Nouvelliste ne veulent pas entendre parler d’élections avec le président Moïse au Palais national. « Les élections législatives, présidentielle et locales ne sont pas possibles avec Jovenel Moïse au pouvoir, un président rejeté par la population », a dit Me André Michel, l’un des leaders du Secteur démocratique et populaire.

« Jovenel Moïse n’a ni la légitimité politique ni l’autorité morale nécessaires pour engager le pays sur la voie des élections libres honnêtes et démocratiques avec un Conseil électoral inclusif »,a-t-il poursuivi, soulignant que « seul un gouvernement de transition équilibré pourra faciliter le retour à l’ordre démocratique ».

Me André Michel a souligné que « les différents secteurs de la vie nationale ont déjà exprimé leur refus de participer au processus de mise en place d’un quelconque CEP avec Jovenel Moïse dans les conditions actuelles ».

« Le Secteur Démocratique et Populaire invite les États-Unis et la communauté internationale à rejoindre le peuple haïtien dans le combat pour mieux réussir la transition, la dernière transition, pour sortir le pays de l’impasse politique actuelle tout en posant et en résolvant les problèmes de fond », a-t-il indiqué.

« Il est évident que Jovenel Moïse n’aurait pas dû prendre des décrets en-veux-tu-en-voilà dans la mesure où la caducité du Parlement provoquée par l’exécutif plonge le pays dans une situation politique exceptionnelle et que le président de la République ne saurait exercer lui-même les attributions constitutionnelles du Parlement », a confié au journal Me André Michel.

La présidente de la Fusion des sociaux-démocrates, l’ex-sénatrice Edmonde Supplice Beauzile, « applaudit » la position des Etats-Unis qui rejoint celle de l’opposition sur les décrets et souligne que le président Moïse ne peut pas organiser des élections en Haïti. « J’applaudis la demande des Etats-Unis à Jovenel Moïse pour qu’il arrête avec ses décrets. Les pays amis ont compris que les partis politiques ont raison lorsqu’ils avaient dit que les décrets sont mal venus », a-t-elle indiqué.

« Sans tenir compte du fond, dans la forme, au regard de la Constitution, le président n’a pas qualité pour légiférer », a tranché l’ex-sénatrice Edmonde Supplice Beauzile.

« Il faut des élections législatives et ce pouvoir ne peut pas les réaliser. Il faut que nous allions aux élections mais pas avec Jovenel Moïse, pas avec le CEP croupion qu’il compte mettre en place », a insisté la présidente de la Fusion. « Nous rappelons que le mandat de Jovenel arrive à terme en 2021 », a poursuivi Mme Beauzile.

« Les élections, oui, mais pas avec Jovenel Moïse, avec la carte Dermalog de Martine Moïse », a confié tout de go l’ex-sénateur de l’Ouest Steven Benoit, qui se réjouit que les Américains aient vu finalement le jeu « de Jovenel Moïse qui n’en finit pas de publier des décrets qui « sont inconstitutionnels ».

« Mieux vaut tard que jamais. L’ambassade commence à découvrir le petit jeu malin de Jovenel Moïse », a indiqué l’ex-sénateur Steven Benoit. « Jovenel doit faire le geste patriotique. Il doit laisser le pouvoir pour éviter une effusion de sang », a-t-il poursuivi.

« Le peuple est très remonté contre le régime PHTK qui a apporté : le chômage, la prolifération de gangs, la contrebande, la vie chère, l’indécence, l’insécurité foncière et surtout la dilapidation des maigres ressources de l’Etat », a prévenu Steven Benoit, qui dénonce le fait que « le gaspillage et le vol sont devenus la norme ».

L’ex-président du Sénat Kelly C. Bastien, interrogé par le journal, a estimé que ce tweet est un positionnement des Etats-Unis en faveur de la fin de mandat de Jovenel Moïse en 2022, puisqu’il est évident que politiquement et techniquement il ne peut y avoir d’élections en 2020. « Si je comprends bien, les Etats-Unis se prononcent en faveur de la fin du mandat de Jovenel Moïse en 2022 puisqu’on parle d’élections législatives. Et même si c’était le cas, 2021 devrait représenter l’année pour les élections », a tweeté Kelly C Bastien, en réaction aux tweets de l’ambassade.

Le président Jovenel Moïse et le gouvernement de facto du Premier ministre Joseph Jouthe n’en finissent pas de publier des décrets dont celui sur le nouveau Code pénal qui a provoqué une vague de contestations de plusieurs secteurs de la vie nationale.

Le journal a appris que les officiels américains ne manquent pas une occasion de souligner à l’attention du président Moïse que « gouverner par décret n’est pas démocratique ». Ouvertement, le sous-secrétaire américain pour le affaires de l’hémisphère Ouest, Michael Kozak, avait souligné que si l’on veut avoir une démocratie, cela signifie que les trois piliers de la démocratie doivent être mis en place. « Cela ne peut pas être un ou deux », avait souligné Michael Kozak au Miami Herald.

Il y a un sentiment que le président Moïse veut jouer contre la montre. Les Etats-Unis le poussent à faire le nécessaire pour que se tiennent des élections. Lui, il avance avec son agenda de nouvelle Constitution, a confié une source bien informée qui fait état également de tractations au plus haut niveau pour « octroyer décharge par décret, en dehors de prescrits constitutionnels, à d’anciens ministres, certains de l’administration Martelly/Lamothe, dans une perspective électorale ».

 

 

 

Source: Le Nouveliste

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *