Les compagnies pétrolières auraient perçu 1.7 milliard de dollars indûment, Jovenel Moïse appelle les institutions anti-corruption à diligenter une enquête
En dix ans, de mars 2010 à mai 2020, l’Etat a perdu plus de 113.5 milliards de gourdes, soit environ 1.7 milliard de dollars, sur la vente des produits pétroliers, a fait savoir le ministre de l’Economie et des Finances, Michel Patrick Boisvert. Il y avait « des gains indus », « de l’argent qui se faisait en dehors de la structure par les compagnies importatrices », a dénoncé le ministre. Pour faire la lumière sur les appels d’offres passés entre l’Etat haïtien et les compagnies privées ces dix dernières années, le président de la République a annoncé lundi en conférence de presse au Palais national la création d’un task force formé de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF) et l’Inspection générale des Finances (IGF) qui vont mener des enquêtes.
La structure des prix des produits pétroliers en Haïti est opaque, selon le ministre de l’Economie et des Finances. D’abord, le gouvernement a changé la structure des prix des produits pétroliers en Haïti. Avant, les compagnies importatrices utilisaient deux indices dans l’achat de l’essence sur le marché international. « Les compagnies achetaient le pétrole selon l’indice Platts et le revendaient à l’Etat haïtien selon l’indice Caribbean Posting. Le différentiel entre ces deux indices constitue le bénéfice indu des compagnies. Ce différentiel peut atteindre jusqu’à 40 centimes sur le gallon », a expliqué Michel Patrick Boisvert, avant que le président de la République ne précise que nous consommons 43 millions de gallons d’essence par mois en Haïti. Le ministre de l’Economie et des Finances a reconnu aussi le laisser-aller de l’Etat en ce sens, qui n’a pas cherché à savoir le prix de l’indice Platts.
Le ministre a souligné que la baisse enregistrée dans les prix des produits pétroliers pendant la pandémie du coronavirus n’a affecté que l’indice Platts, alors que l’indice Caribbean Posting n’a fait qu’augmenter. « Maintenant, a-t-il dit avec satisfaction, l’Etat haïtien n’adopte que l’indice Platts. »
Dans la nouvelle structure des prix des produits pétroliers, sur chaque gallon de gazoline vendu, les compagnies perçoivent un bénéfice de 64 gourdes, le distributeur ou le propriétaire de la pompe à essence fait un bénéfice de l’ordre de 30 gourdes, l’Etat perd 75,84 gourdes et le consommateur achète le gallon à 224 gourdes, selon les chiffres fournis par Michel Patrick Boisvert. « Pour maintenir à la pompe le prix de la gazoline à 224 gourdes, l’Etat est obligé de renoncer à 75.84 gourdes », a-t-il dit. Et le président de souligner que cet argent devait servir à la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux…
Pour maintenir le kérosène à 173 gourdes à la pompe, l’Etat perd 43,22 gourdes sur chaque gallon. L’Etat perd aussi 39,74 gourdes par gallon pour maintenir le prix du diesel à 179 gourdes sur le marché local.
En dix ans, de mars 2010 à mai 2020, l’Etat a perdu plus de 113.5 milliards de gourdes, soit environ 1.7 milliard de dollars, sur les produits pétroliers, a fait savoir le ministre Boisvert, soulignant que les pertes de taxes représentent environ 83 milliards de gourdes et le reste constitue la subvention de l’Etat.
Selon le grand argentier de la République, dans la nouvelle structure des prix de l’essence, l’Etat a bloqué certaines rentrées d’argent des compagnies pétrolières et assume du coup certaines responsabilités comme le stockage et le transport à l’intérieur du pays.
M. Boisvert a souligné qu’avec la nouvelle structure des prix des produits pétroliers, l’Etat perdra des recettes, mais il n’aura pas à financer la subvention. Mais, a-t-il nuancé, si les prix de l’essence augmentent sur le marché international, le gouvernement n’aura pas d’autre choix que de recourir au financement public.
Le ministre a souligné que pendant la baisse des prix de l’essence sur le marché international occasionnée par le coronavirus dans le monde, l’Etat avait quand même continué à subventionner les prix du pétrole sur le marché local. Michel Patrick Boisvert a toutefois reconnu que la subvention avait été considérablement réduite sans donner de chiffres sur cette réduction…
Actuellement, le pays ne peut stocker de l’essence que pour 21 jours. Le président Jovenel Moïse a dénoncé le fait que depuis qu’il est au Palais national, aucun investisseur ne lui a proposé d’augmenter la capacité de stockage du pays pour au moins deux mois. « Les importateurs ont importé 250 000 barils de produits pétroliers alors qu’on peut recevoir 198 000 barils. Les autres 52 000 barils sont restés jusqu’à présent sur le bateau », a indiqué le président.
Le chef de l’Etat a fait savoir que les importateurs auront à payer 250 000 dollars pour les 10 journées supplémentaires que le bateau aura à passer en Haïti sans pouvoir débarquer le reste des produits pétroliers.
Après avoir fait ces considérations avec son ministre de l’Economie et des Finances, le président a ordonné au Premier ministre Joseph Jouthe de diligenter une enquête financière, légale et de conformité avec l’ULCC, l’UCREF et l’IGF sur les appels d’offres passés entre l’Etat haïtien et les compagnies privées entre mars 2010 et mai 2020 avec un accent particulier sur son administration.
« Non seulement sur les appels d’offres, mais aussi sur les achats. Je sais que pendant mon mandat il n’y a pas eu d’appels d’offres », a avancé le président. Dans la même veine, le directeur général du BMPAD, Fils-Aimé Ignace St-Fleur, a révélé qu’il a été forcé d’acheter pendant la période de ‘’peyi lòk’’ de l’essence à 37 centimes le premium par gallon. « Aujourd’hui, le premium est réduit à 6.55 centimes, 8.11 centimes et 6.25 centimes par gallon à la suite du dernier appel d’offres », a-t-il dit.
Selon Fils-Aimé Ignace St-Fleur, l’Etat haïtien a surpris les compagnies importatrices de produits pétroliers « en flagrant délit de mauvaises pratiques »…
La commission d’enquête sur les compagnies privées impliquées dans les produits pétroliers dispose de 30 jours pour faire son travail, a indiqué le locataire du Palais national.