Pari à prendre…
Les autorités des îles Turks and Caicos ont intercepté 243 Haïtiens qui tentaient d’entrer illégalement sur leur territoire à bord de deux frêles esquifs en bois, mardi et jeudi, a rapporté dans un tweet Jacqueline Charles, journaliste à Miami Herald, jeudi 30 janvier 2020.
L’un des bateaux qui mesure 40 pieds transportait 140 Haïtiens, a-t-elle écrit.
Sur son compte Twitter, l’ambassade des États -Unis a posté la veille la photo d’un bateau bondé de clandestins. La traversée de mardi, risquée, dangereuse, aurait pu facilement se terminer en drame, déplore l’ambassade.
C’est grâce à la Providence que le pire a été évité. Rien n’indique qu’il n’y a pas d’autres « kanntè » en préparation.
Souvent ce sont la pauvreté, le chômage, le désespoir qui poussent les Haïtiens à s’aventurer en mer, conscients que la mort peut être au bout du peuple.
Pour ceux qui regardent Haïti et ses problèmes, ces voyages, hier et aujourd’hui, constituent l’un des baromètres des difficultés du pays réel.
Ce pays est en proie à une inflation de plus de 20 %, à la dépréciation de la gourde dont il faut 94 unités pour 1 dollar et aux ajustements à la hausse de prix des produits alimentaires qui se sont appréciés sur le marché international depuis décembre 2019.
Pour noircir un peu plus le tableau, il y a ces millions d’Haïtiens, plus de 30% de la population, qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.
Ni la faim qui s’étend ni la fréquence des voyages clandestins n’ont trouvé une petite place dans l’actualité des chefs qui peinent à relancer la gouvernance après 10 mois sans gouvernement, qui peinent à lutter contre les bandits de Martissant, de Village-de-Dieu, de Savien, de Croix-des-Bouquets.
Le président Jovenel Moïse, en mode « one man show again », prend beaucoup de place, impose sa narrative. Pour ce qui est des problèmes de 2019 et d’avant, le président Moïse, un zeste populiste, est parfois dans la caricature à la fois dans l’analyse et dans les solutions à des problèmes complexes. Sur le crédit, la lutte contre « l’insécurité », il étale, s’étale.
Le président Moïse carbure surtout dans l’Etat c’est moi. Il se remet sous les feux des projecteurs, rejoue l’acte I d’un début de quinquennat dont l’échec se mesure à l’aune des « lòk », des manifestations, des projets de loi de finances non votés, du rouge foncé des principaux indicateurs macroéconomiques.
Entre-temps, les plus optimistes espèrent un accord entre partisans, alliés Tèt Kale et des opposants dociles qui voudraient bien se rapprocher de la table du pouvoir.
Ils soutiennent qu’il faut un gouvernement pour avoir quelques dons, des appuis budgétaires. Il faut sauver quelques mois sans penser à l’étape incontournable des élections et des batailles électorales.
Si des stratèges font des calculs pour arriver au pouvoir ou pour s’y maintenir pour perpétuer le même, personne ne peut prédire avec certitude l’avenir immédiat tant que la pauvreté continue de s’étendre, tant que la lutte contre la corruption reste une supercherie, tant que la justice peine encore à faire la lumière sur le scandale PetroCaribe.
Le pays, entre-temps, et encore une fois, est prisonnier de l’immédiat que l’on ne gère pas toujours avec intelligence et pragmatisme. Le renouveau, avec tant de spectateurs passifs, de révolutionnaires et réformateurs de salon, de champions du virtuel, en retard par rapport au projet de maintien du statu quo pour plus de pauvreté et de son corollaire la violence, est un pari difficile. Mais c’est un pari à prendre…
Source: Le Nouveliste