Haïti-2010-2019 : la décade des catastrophes
On ne se rend peut-être pas compte, dix années se sont écoulées. Qu’est-ce que le pays a réalisé au cours de cette période ? Alors que nous abordons une nouvelle époque, on doit se poser cette question. Elle est collective, mais elle est également individuelle. On pourrait aussi se demander : Qu’est-ce qu’on n’a pas fait ? En tous les cas, il est légitime de s’interroger à l’occasion sur notre parcours de vie et en tirer des conséquences pour le futur. Cette double interrogation nous renvoie à notre passé récent et nous offre l’opportunité de revenir sur des étapes importance de la décennie 2010- 2019. La rédaction de Haïti Press Network vous propose de revenir sur certains faits majeurs de la période.
Au moins trois faits majeurs auront marqué la décennie haïtienne. Le séisme du 12 janvier 2010. L’élection de Michel Martelly à la présidence, l’ouragan Mattew, et… les épisodes de blocage du pays « pays lock ». A analyser ces quatre événements et leurs corollaires, un économiste a conclu que 2010-2019 aura été la plus éprouvante décennie de notre siècle. Rien de « pire » ne devrait arriver à notre pays en une si courte période ! Pour cela, il faut travailler à changer de paradigme. Construire mieux, réorganiser le système politique, remettre sur pied les institutions de justice…
Haïti est entrée dans la décennie par la plus cruelle des voies. La période (décade) commence avec un séisme gigantesque de 7.3 sur l’échelle de Ritcher qui ravage le pays emportant des centaines de milliers de vie (220,000), faisant plus de 300,000 blessés, 1,5 millions d’habitations détruites et ravageant des villes, dont la capitale qui ne s’en relève toujours pas. Tous les symboles des pouvoirs civiles et religieux sont encore à terre, en ruines. Le palais national, la cathédrale, des institutions publiques rasés par la catastrophe ont disparu du paysage de Port-au-Prince. Dix ans après le tremblement de terre qui a secoué le pays pendant quelques secondes, les Haïtiens ne se sont pas encore remis du traumatisme. Des familles entières ont été décimées dans des villes et des quartiers entiers anéantis. Le témoignage de l’ONG OXFAM ne laisse aucun doute sur la gravité de la situation : « Nous n’avions jamais été confrontés à des ravages et à des difficultés logistiques d’une telle ampleur ».
On a ainsi perdu des repères qui guidaient en quelque sorte notre existence. La carte géographique du pays a ainsi été redessinée entraînant des déplacements de pans entiers de la population. A travers le pays des bâtiments qui habillaient notre vue et peuplaient notre vie ont été rayés du paysage. Des quartiers qui ont vu grandir des générations sont depuis transformés d’autres ont pris naissance sauvagement, librement déformant le visage esthétique de nos villes. C’est tout un mode de vie haïtien qui s’est transfiguré, abattu par la force brutale du tremblement de terre destructeur en tous points. On croyait que nous étions arrivés, parvenus au bout de nos peines et de nos douleurs qu’on allait se mettre à reconstruire dans un autre esprit, celui qui nous a saisi le soir de la catastrophe et qui nous a vu en communion dans les ruelles et dans les corridors dormir les uns à cotes des autres sans tenir des classes et des positions sociales. Non. Les jours d’après c’était « business as usual ». Retour à nos vieux réflexes. Les mêmes vieux comportements.
Aucune politique de construction n’est à ce jour éditée. La capitale, Port-au-Prince, meurtrie par la catastrophe est toujours aussi surpeuplée. Des quartiers coulent sous le poids de leurs habitants qui s’empilent dans des constructions peu fiables. Pourtant le lendemain du séisme, le monde était accouru au chevet d’Haïti. Des Etats-Unis à la Russie, de la Cote d’ivoire à Israël, de l’Allemagne en passant par la France, naturellement la République Dominicaine, Cuba, le Canada et surtout le Venezuela avec son programme PetroCaribe renouvelé et renforcé (on y reviendra), l’aide, les soins, les médecins et secouristes venaient de partout. Une cagnotte internationale lancée par les Nations-Unies a permis de récolter dons et promesses de près de deux milliards de dollars promis à une commission internationale chargée du programme de la reconstruction du pays. La Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) était ainsi née pour très peu de résultats au final. On garde un souvenir mitigé et un sentiment de frustration de cette structure qui n’a pas réussi grand-chose pour le relèvement du pays tant elle était traversée par des contradictions et des intérêts divergents entre pays donateurs.
Avant le séisme de 2010, Haïti était déjà considéré comme l’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère ouest. La catastrophe du 12 janvier 2010 est venue tout simplement amplifiée les besoins du pays et rendre encore plus vulnérables la majorité pauvre. Haïti est passée à côté de l’opportunité de construire un avenir plus équitable pour l’ensemble de la population. Tout de suite après le séisme, le pays sera frappé par une série d’ouragans et de tempêtes tropicales qui ont engendré de nouvelles destructions dans le pays. Le choléra apporté par les troupes onusiennes déployées sur le terrain viendra causer la mort de dizaines de milliers de personnes et ajouter à la série de catastrophes qui se sont abattues sur Haïti rien qu’au cours de la première moitié de la décennie.
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