Haïti-RD/Rapatriement : Au sommet de la Caricom, Martelly dénonce des « déportations souvent violentes »
P-au-P, 04 juil. 2015 [AlterPresse] — Le président de la république, Joseph Michel Martelly, change de ton et de discours au sujet des rapatriements d’Haïtiens et de Dominicains dénationalisés par la République Dominicaine, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Lors du 36e sommet, du jeudi 2 au samedi 4 juillet 2015, à la Barbade, des chefs d’Etat et de gouvernement du Marché commun des Caraïbes (Caricom), Martelly a appellé à des négociations multilatérales sur le dossier des rapatriements-expulsions de la République Dominicaine.
En séance plénière, le vendredi 3 juillet 2015, Martelly a condamné, pour la première fois, la politique dominicaine à l’égard des migrants haïtiens et des citoyens dominicains reniés par un arrêt pris en 2013.
Dans la lignée de cette politique et à la suite de l’expiration, le 17 juin 2015, du Plan national de régularisation des étrangers (Pnre), des milliers de personnes, y compris des Dominicains d’origine haïtienne, se ruent sur la frontière, la plupart poussées par la crainte de représailles de leurs communautés d’accueil.
Le gouvernement dominicain préfère parler de « départ volontaire » de citoyens haïtiens vers leur pays.
Il s’agit, en fait, de « déportations souvent violentes », précise Michel Martelly dans son discours du 3 juillet 2015.
Tout en reconnaissant le droit, pour le pays voisin d’Haïti, de décider sa politique migratoire, Martelly fait remarquer aussi que l’administration politique établie à Santo Domingo a, dans toutes les réunions, refusé catégoriquement de négocier un protocole sur le processus et les mécanismes des rapatriements ou toute autre entente qui soit favorable aux droits des migrantes et migrants.
« La partie haïtienne est en droit de considérer que le gouvernement dominicain veut effectuer les déportations, sans tenir compte des droits élémentaires des migrants haïtiens », relève Martelly.
Près de 13 mille personnes sont arrivées en Haïti dans des conditions difficiles, seulement pour la période du lundi 22 juin au mercredi 1er juillet 2015, selon la Direction de la protection civile (Dpc) en Haïti.
À Anse-à-Pitres (Sud-Est), des camps de fortune ont vu le jour. Et des médecins craignent des épidémies.
Les premières déportations « [annoncent] déjà les signes d’une catastrophe humanitaire, pouvant déstabiliser le pays et son économie », souligne Martelly.
De plus, « les déportations massives risquent de mettre en danger la paix et la sécurité régionales », compte tenu des faibles capacités économiques de l’État haïtien pour y faire face, ajoute-t-il.
Le pays doit, en outre, organiser, d’août à décembre 2015, des élections cruciales pour renouveler tous les postes électifs, à l’exception de 10 au sénat, dans un contexte politique sujet aux tensions.
Dans le cadre de la diplomatie, « première ligne de défense » du pays, Martelly déclare faire appel aux institutions internationales pour faire entendre raison à l’administration politique du président dominicain Danilo Medina.
Martelly interpelle particulièrement le Marché commun des Caraïbes (Caricom), l’Organisation des États américains (Oea) et l’Organisation des Nations unies (Onu).
« La communauté internationale ne peut pas garder le silence, lorsque des personnes, dont la force de travail a été exploitée pendant plusieurs décennies », sont chassées, « sans avoir la possibilité de toucher une pension, voire le droit de récupérer leur patrimoine », affirme Martelly.
L’intervention de Martelly, le 3 juillet 2015, au sommet de la Caricom semble suivre la ligne, affichée cette semaine par son premier ministre Evans Paul, qui, dans un communiqué, a critiqué vivement le rapatriement de nuit (du mercredi 1er au jeudi 2 juillet 2015) de 21 migrants.
Elle rejoint aussi, chose inédite, la position de plusieurs institutions non étatiques, nationales et internationales.
Intervention du président Michel Martelly, le 3 juillet 2015, au 36e sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Caricom sur la crise migratoire entre Haïti et la République Dominicaine
Document transmis à AlterPresse
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement, Mesdames, Messieurs les Ministres, Monsieur le Secrétaire Général de la Caricom, Mesdames, Messieurs les Délégués,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais, tout d’abord, remercier l’Honorable Perry CHRISTIE, Premier Ministre des Bahamas et Président sortant de la Caricom, pour l’excellent travail qu’il a effectué au cours de son mandat. J’en profite pour saluer l’arrivée de l’Honorable Freundel STUART, Premier Ministre de la Barbade, à la présidence de la Communauté. Sachez, Monsieur le Président, que je suis à votre disposition.
Qu’il me soit permis de vous dire que ce n’est pas de gaieté de cœur que je m’adresse à cette assemblée pour parler des relations de la République d’Haïti avec la République Dominicaine.
Aujourd’hui, ces relations nous interpellent et interpellent les amis de la Caricom, compte tenu du sort qui est réservé aux haïtiens vivant en situation irrégulière en République Dominicaine.
Depuis le mercredi 17 juin 2015, date de l’échéance du Plan national de régularisation des étrangers (Pnre), mettant en application l’Arrêt 168-13 du Tribunal Constitutionnel dominicain, des milliers d’haïtiens ont rejoint les postes frontaliers haïtiano-dominicains. Si certains ont décidé de retourner volontairement en Haïti, d’autres, plus nombreux que les premiers, ont, en revanche, été arrêtés et conduits manu militari aux frontières.
Les autorités dominicaines préfèrent parler de rapatriement volontaire assisté, alors qu’il s’agit de déportations souvent violentes.
La République d’Haïti, dans le cadre de toutes les rencontres bilatérales sur les questions migratoires, n’a jamais discuté le droit souverain de la République Dominicaine de légiférer sur sa politique migratoire nationale et de prendre toutes les dispositions subséquentes concernant les étrangers, notamment les Haïtiens.
La position du gouvernement, conformément au respect des normes de Droit International Public régissant la matière, est et a toujours été d’accueillir en Haïti toute personne jouissant de la nationalité haïtienne, mais vivant en situation irrégulière, que ce soit en République Dominicaine ou dans n’importe quel autre pays.
C’est, respectueuse de ce principe et en harmonie avec les normes internationales, que la partie haïtienne, à toutes les réunions bilatérales, a invité la partie dominicaine à considérer la nécessité et l’urgence de négocier un protocole d’Accord sur le processus ou les mécanismes de rapatriement, dans le seul et unique but de respecter les droits des migrants.
Les autorités dominicaines, en utilisant tous les subterfuges possibles, ont systématiquement refusé de négocier, non seulement ledit protocole, mais encore tout autre qu’elle pourrait courtoisement présenter.
En conséquence, la partie haïtienne est en droit de considérer que le gouvernement dominicain veut effectuer les déportations, sans tenir compte des droits élémentaires des migrants haïtiens.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement, Monsieur le Secrétaire Général de la Caricom,
Face à cette situation intolérable, la République d’Haïti lance un vibrant appel aux Etats membres de la Caricom, de l’Organisation des Etats Américains et de l’Organisation des Nations Unies, afin de porter les autorités dominicaines à traiter les ressortissants haïtiens avec dignité, en respectant leurs droits, conformément à tous les protocoles et toutes les conventions internationales et régionales existant en matière migratoire.
La communauté internationale ne peut pas se taire quand des familles nucléaires se divisent arbitrairement et que des enfants sont séparés de leurs parents et conduits à des postes frontaliers.
La communauté internationale ne peut garder le silence, lorsque des personnes, dont la force de travail a été exploitée pendant plusieurs décennies et qu’un beau jour on leur demande de débarrasser le plancher sans avoir la possibilité de toucher une pension, voir le droit à récupérer leur maigre patrimoine.
La République d’Haïti demande à la communauté internationale de soutenir la position du gouvernement dans sa tentative de souscrire un accord avec la République Dominicaine, qui respecte les droits humains des ressortissants haïtiens.
La République d’Haïti ne dispose pas de Forces armées.
Aussi fait-elle de la diplomatie sa première ligne de défense. Si dans un premier temps, elle avait privilégié l’approche bilatérale, c’est parce qu’elle avait cru en la bonne foi des autorités dominicaines à tenir leurs promesses de ne pas organiser de rapatriement massif, encore moins de violer les droits des migrants haïtiens.
Toutefois, le constat sur le terrain du nombre de déportés, que nos institutions et les agences humanitaires internationales ont pu accueillir au cours des deux dernières semaines, annonce déjà des signes d’une catastrophe humanitaire pouvant déstabiliser le pays et son économie.
Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement, Monsieur le Secrétaire Général de la Caricom,
La République Haïti s’engage lire la suite sur alterpresse.org