Mario Vargas Llosa, un Nobel amplement mérité
Par André Clavel
Vingt-huit ans après le Colombien Garcia Marquez – son ennemi juré -, vingt ans après le Mexicain Octavio Paz, l’auteur de Conversation à la cathédrale rejoint les deux autres ténors des lettres latino-américaines au panthéon du Nobel.
Au Pérou, tous les chemins – sauf les sentiers plus ou moins lumineux – mènent à Mario Vargas Llosa. Ce sont désormais les routes du monde entier qui convergeront vers lui grâce à ce Nobel, ô combien mérité. Vingt-huit ans après le Colombien Garcia Marquez – son ennemi juré -, vingt ans après le Mexicain Octavio Paz, l’auteur de Conversation à la cathédrale rejoint donc les deux autres ténors des lettres latino-américaines. Comme eux, il est un visionnaire : ses romans sont le flamboyant miroir d’un continent longtemps déchiré, baroque, explosif, paradoxal. De La ville et les chiens à La guerre de la fin du monde, le condor péruvien n’aura cessé de survoler le destin de l’Amérique latine, ses illusions, ses rêves meurtris, ses mythes écrasés sous la botte des dictatures.
Orphelin des révolutions impossibles, monstre d’écriture, travailleur infatigable – on l’a comparé à Hugo -, Vargas Llosa n’a cessé de s’engager. D’abord derrière le gouvernement de Fidel Castro. Puis de plus en plus vers la droite libérale : il a été candidat à l’élection péruvienne en 1990, à la tête d’une coalition de centre-droit – le Frente Democratico -, et, depuis, il a régulièrement fustigé dans la presse les gouvernements progressistes du continent où il a grandi.
D’Arequipa à Barcelone
Vargas Llosa est né à Arequipa en mars 1936. Il étudie à l’université de Lima puis il travaille comme correcteur et comme critique (cinéma, littérature), milite aux côtés des jeunes communistes avant de rompre avec leurs directives staliniennes et de s’envoler pour Madrid – il y fait sa thèse – et pour Paris, à la fin des années 1950.
C’est là qu’il signe La ville et les chiens (évocation de la violence dans un collège paramilitaire), un roman bientôt traduit dans une vingtaine de langues. Puis il y aura La maison verte (description très poétique du télescopage entre le monde obscure de la forêt péruvienne et celui des grandes villes), Conversation à la cathédrale (règlement de comptes avec le Pérou du général Manuel Odria), Pantaléon et les visiteuses (histoire bouffonne d’un officier converti au proxénétisme), L’orgie perpétuelle (délicieux clin d’oeil à Madame Bovary et à l’univers de Flaubert), La fête au bouc (portrait au vitriol de l’ex-tyran de Saint-Domingue, Rafael Trujillo), La tante Julia et le scribouillard (un récit largement autobiographique), Lituma dans les Andes (tableau du terrorisme sendériste des années 1980), La guerre de la fin du monde (sur la politique brésilienne au XIXème siècle).
Titulaire de quarante doctorats, vivant aujourd’hui entre Paris, Londres et Barcelone, Vargas Llosa continue à travailler sans relâche : il vient de publier en Espagne un nouveau livre, El Sueno del celta, une biographie romancée qui met en scène Roger Casement (1864-1916), à la fois poète, révolutionnaire irlandais, passeur d’armes et diplomate britannique qui fustigea les abus du système colonial en Afrique et au Pérou. Au coeur de l’ouvrage : la rencontre sous les tropiques de Conrad et de Casement, qui restera un réfractaire jusqu’à sa pendaison en Angleterre, où on l’accusa d’avoir trahi la Couronne. D’un livre à l’autre, Vargas Llosa s’impose comme un géant des lettres universelles et ce Nobel tardif n’ajoutera pas grand-chose à une célébrité conquise depuis bien longtemps déjà.
André Clavel/L’Express