Au Grand Palais, l’art haïtien sort de son île
« Constellations de la déesse / Ciel au-dessus de Port-au-Prince Haïti 12 janvier 2010 21 :53 UTC », œuvre (300 x 300 cm) réalisée en 2012 par Jean-Ulrick Désert, exposée dans le cadre de « Haïti, deux siècles de création artistique », Grand Palais, Paris.
Par Siegfried Forster | Source rfi.fr
C’est la première fois que l’art haïtien est montré d’une manière exhaustive et contemporaine en France. 60 artistes contemporains participent à cette exposition qui célèbre jusqu’au 15 février « Haïti, deux siècles de création ». Un Grand Palais bien mérité pour un art haïtien qui questionne notre monde à tous. Et c’est tout un symbole quand on pense que cet événement se déroule 200 ans après la défaite des troupes napoléoniennes suivie de la proclamation de la première République noire dans l’histoire de l’humanité.
La culture haïtienne ? Oui, il y a la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie, la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean. Sinon, c’est pratiquement toujours de la littérature qu’on parle, et de surcroît de personnalités bien ancrées en France : d’uneYanick Lahens qui vient de remporter le prix Femina ou d’un Dany Laferrière récemment élu à l’Académie française. Et pourtant, ce pays des Caraïbes qui occupe le tiers occidental de l’île d’Hispaniola a toujours été une terre fertile pour l’art en général. À Paris, au Grand Palais, c’est sur cette richesse et cette diversité que les deux commissaires ont basé leur exposition avec une scénographie du parcours volontairement caractérisée comme un « chaos organisé ».
« Paysages, chefs, esprits, sans titres »
« L’idée était de faire une grande installation qui est redistribuée à travers de quatre grands chapitres – paysages, chefs, esprits, sans titres -, ponctués par des tête-à-tête, remarque Régine Cuzin, l’une des deux commissaires qui ont travaillé trois ans pour réaliser cette exposition. Lorsque le visiteur entre dans l’exposition, il voit tout, mais il ne voit rien. Après il faut déambuler dans l’exposition pour appréhender les œuvres, des artistes et les propositions. Mais le cœur de l’exposition, ce sont les artistes contemporains à partir lesquels vont en résonance les œuvres modernes ou anciennes. »
Dubréus Lhérisson a sublimé un crâne humain avec l’aide de paillettes et de coquilles. Un peu plus loin, il y a un géant d’André Eugène qui s’impose à nous. Une sculpture monumentale faite de bois, de pneu et de métal recyclé, et équipée d’un phallus conséquent. Frantz Jacques, dit Guyodo, membre de la communauté Artistes en résistance de la Grand-Rue à Port-au-Prince, a récupéré pendant sa résidence à Paris des objets délaissés au bord de la Seine pour en faire une grande sculpture peinte en aluminium et dotée d’un crâne humain : « Chez nous, il y a beaucoup de jeunes qui n’ont jamais voyagé, mais moi, quand je fais une sculpture, je met un crâne. Et ce crâne voyage partout où j’expose. Quand il était vivant, ce crâne n’était dans aucun autre pays que Haïti, mais depuis sa mort, il voyage beaucoup ».
Vrais ou faux ?
Maksaens Denis a développé en Haïti une démarche novatrice dans le domaine de l’art numérique. Pour le Grand Palais, il a conçu un tableau-vidéo sur lequel défilent aussi bien des images idylliques que des barbelés : « J’ai voulu parler de stéréotypes qui nous enferment dans les Caraïbes. J’ai aussi mélangé tous ces mots : vrais ou faux, bien ou mauvais, et j’ai nommé cette installation Tragédie tropicale. Ces mots sont projetés sur des corps nus d’hommes. Tout cela se mélange dans une confusion. »
Quelle est aujourd’hui la spécificité de l’art haïtien ? « Nous voulons un peu casser la vision romantique qui est collée à Haïti, affirme Régin Cuzin, ou ce sont des tragédies ou c’est l’art qui s’est arrêté en 1945 avec les peintres naïfs. Beaucoup de gens perçoivent Haïti qu’à partir de ces prismes-là. Mais Haïti n’est pas que ça. »
Par contre, visiblement, les catastrophes continuent à nourrir l’imaginaire des artistes haïtiens : par exemple, dans ce grand tableau rouge doté d’une croix blanche très fine et accroché au mur. L’œuvre de Jean-Ulrick Désert s’appelle Constellations de la déesse et montre – à travers d’épingles à têtes géantes pointées dans le tableau – la constellation exacte du ciel au-dessus de Port-au-Prince le 12 janvier 2010, le jour du grand tremblement et ses 200 000 morts.
Également très soignée dans la forme et glaçante dans le fond s’avère la vidéo de Sasha Huber, Haïti chérie : le spectateur voit d’abord lire la suite sur rfi.fr