Haïti – Environnement: La Forêt des Pins, un patrimoine à sauvegarder
Photos : Srdan Slavkovic et Audrey Goillot – UN/MINUSTAH.
De 32 000 hectares de pins au début du XXème siècle, il n’en reste pas plus de 6 000 aujourd’hui. Le déboisement massif de la Forêt des Pins, située à cheval entre Haïti et la République Dominicaine, cause chaque année inondations et glissements de terrain parfois meurtriers. Un forum de sensibilisation a été organisé ce 24 avril en vue d’impliquer les habitants dans la protection de ce patrimoine menacé.
« Sans notre vigilance, la Forêt des Pins aurait déjà disparue », avoue Janel Dérilus, un des sept gardes forestiers chargés de surveiller la forêt du côté haïtien. Sous-équipés et n’ayant à leur disposition que deux véhicules tout terrain dont un seul pour lutter contre le feu, ces agents du Ministère de l’Environnement doivent régulièrement affronter des incendies de forêt d’origine criminelle. « De décembre 2012 à avril 2013, nous avons enregistré 50 incendies à la Forêt des Pins », regrette M. Dérilus qui ajoute que « ces actes criminels sont exécutés durant la nuit ».
En effet, poursuit-il, les paysans mettent le feu à la forêt pour abattre facilement les arbres et du même coup gagner du terrain pour cultiver carottes, laitues et pommes de terre. « Tout cet espace était jadis couvert de forêt », se souvient Polynice Joseph, un autre agent forestier montrant du doigt un vaste champ de maraîchers disposé en terrasse sur une colline dénudée.
Hormis l’agriculture, les habitants de la zone abattent les pins pour en faire du charbon de bois, bois de chauffage et des meubles pour s’assurer un maigre revenu. « Avec un effectif de 5 policiers au commissariat de Fonds-Verrettes dont dépend la Forêt des Pins, on ne peut pas faire grande chose contre les criminels », ajoute Olème Louis, un résidant de la forêt qui voudrait « qu’on renforce l’effectif des gardes forestiers et qu’on crée une unité spécialisée au sein de la Police Nationale d’Haïti (PNH) afin de protéger la Forêt des Pins ».
Située à plus de 2 000 mètres d’altitude, la Forêt des Pins forme une vaste étendue de forêts tropicales et subtropicales de conifères, le « Pinus occidentalis » qui s’étend de part et d’autre de la frontière entre Haïti et la République Dominicaine.
Pourtant c’est du côté haïtien que la déforestation est la plus visible. « Jadis la Forêt des Pins couvrait 32.000 hectares de superficie, maintenant à peine s’il nous reste 6.000 hectares de forêt », regrette Janel Dérilus. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la couverture forestière d’Haïti ne dépasse pas 3% du territoire, exposant le pays de la Caraïbe à l’érosion et aux catastrophes naturelles.
C’est dans les années trente que, sous l’impulsion des agriculteurs et des exploitants de bois, la coupe anarchique des arbres s’est accélérée. Trente ans plus tard, sous le gouvernement de François Duvalier, la lutte contre les « kamokens » (nom donné à ses opposants politiques) a fait de la coupe systématique des arbres un moyen de surveiller le territoire. Durant cette période, les pins étaient aussi exploités par des entreprises étrangères pour la fabrication d’une huile à base de résine destinée à l’industrie aéronautique.
Pourtant, la loi du 24 Mai 1962 du Code Rural interdit de défricher ou déboiser les terrains inclinés. Et selon un arrêté datant de 1937, la zone est classée « zone spéciale », bénéficiant ainsi d’une certaine protection contre la coupe illégale du bois.
Malgré cela, au départ de Jean-Claude Duvalier du pouvoir, en 1986, la dégradation continue des conditions de vie des paysans a eu pour corollaire l’intensification de la coupe des arbres, trafic obligé pour alimenter la capitale et d’autres régions du pays en bois et charbon de bois, principales sources d’énergie pour les ménages et les blanchisseries.
Aujourd’hui, la couverture végétale de la commune de Fonds-Verrettes présente un triple aspect : dans la partie nord, une zone extrêmement dégradée ; dans la zone de Terre-Froide à Yati, une zone peu dégradée et, dans la partie sud, une couverture végétale acceptable mais grandement menacée par les cultivateurs et les fabricants de charbon qui incendient régulièrement la Forêt des Pins.
Une ville rasée par les inondations
Situé entre 850 mètres et 3000 mètres d’altitude, cet espace boisé couvrait à l’origine 15 % de l’Ile d’Hispaniola avec un ensemble forestier de pins d’Hispaniola ou – espèce endémique – situé sur des pentes avec des sols peu profonds de carbonate et de latérite. Les forêts de pins couvrent la Cordillère Centrale dont le Pic Duarte de la République Dominicaine ainsi que le massif du Pic la Selle et le massif de la Hotte.
Sur la route qui mène à Anse-à-Pitre, dans le Sud-est, les séquelles d’une inondation meurtrière de la nuit du 23 au 24 mai 2004 sont encore visibles. De loin, on peut encore observer de larges méandres et des canyons formés à la suite de la catastrophe naturelle. Arrivé à Fonds-Verrettes, déplacée vers les hauteurs, les épaves de quelques maisons dont le commissariat prouve qu’il y avait une ville en-dessous.
« Ici se trouvait l’église paroissiale de Fonds-Verrettes », indique Polynice Joseph pointant un espace désert et couvert de grosses pierres blanches. En effet, dans la nuit du 23 au 24 mai 2004, des pluies torrentielles ont complètement balayé la ville de Fonds-Verrettes et inondé celle de Mapou (Sud-est), faisant plus de 1 200 morts, 1 300 disparus et affectant 30 000 personnes.
Réfléchir ensemble pour sauvegarder un patrimoine commun
Afin de trouver des solutions à la dégradation continue de la Forêt des Pins, les habitants de Fonds-Verrettes et ses autorités locales ont tenté ensemble, lors d’un forum communautaire sur la gestion de la Forêt, de proposer des mesures à prendre pour protéger ce patrimoine.
« Il faut qu’on nous enseigne à cuisiner avec des réchauds fonctionnant avec du gaz propane », suggère Carole Sainterlien, une habitante de Fonds-Verrettes. Elle propose que « l’Etat subventionne ce carburant afin de décourager ceux qui coupent du bois pour en faire du charbon ».
Pour sa part, Olème Louis croit que « l’Etat doit décréter l’état d’urgence dans la Forêt des Pins et reprendre le contrôle de ses terres en vue de procéder au reboisement et du même coup, encourager les écoliers à reboiser la forêt ».
« L’Etat ne va pas tolérer que quelqu’un mette le feu à la forêt », a de son côté martelé le délégué départemental de l’Ouest, Louis Gonzague Edner Day qui a promis de travailler avec les ministres de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Environnement afin de afin de protéger la forêt de ces pyromanes. « On va prendre des décisions pour décourager les coupeurs de bois », promet-il.
Dans le cadre d’une série de 118 forums communautaires organisés à travers le pays, le rassemblement de Fonds-Verrettes était organisé avec le soutien de la Section des Affaires Civiles de la MINUSTAH, de concert avec la Mairie de cette commune et la Délégation de l’Ouest.
Jonas Laurince (http://minustah.org)