Haïti-« Assistance mortelle » sur Arte : l’humanitaire en procès en Haïti
On sort du documentaire de Raoul Peck, « Assistance mortelle », sonné et en se posant une seule question : comment est-ce possible ? Comment est-il possible que le monde, bouleversé par le terrible séisme de 2010 en Haïti, qui a fait 230 000 morts et 1,5 million de sans-abris, ait été si incompétent à aider ce pays à se relever ?
Comment est-il possible que le beau mot d’« humanitaire », qui a suscité tant de vocations généreuses, qui a incarné un temps une utopie de remplacement à l’effondrement des idéologies, ait débouché sur ce spectacle que Raoul Peck n’hésite pas à qualifier de « pornographique », indécent.
Comment est-il possible que trois ans après le séisme, après la mobilisation de milliards de dollars, la mise en branle des plus grandes institutions mondiales et des plus petites ONG, le défilé de stars et l’engagement d’un ancien président américain, les Haïtiens, si l’on en croit Raoul Peck, vivent encore plus mal aujourd’hui ?
Enquête implacable
Comme dans tous ses films précédents, Raoul Peck, un réalisateur haïtien de 60 ans au parcours impressionnant, mène son enquête de manière implacable et convaincante :
- il nous fait d’abord revivre le terrible séisme de janvier 2010, mesurer l’ampleur des dégâts, les drames humains ;
- il nous plonge ensuite dans l’euphorie de la mobilisation internationale, une solidarité qui fait chaud au cœur, qui montre que la communauté internationale n’est pas un vain mot… Des milliards de promesses, un soutien politique au plus haut niveau puisque Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis, est nommé représentant spécial des Nations unies et s’engage personnellement ;
- il nous emmène ensuite sur les traces du désastre humanitaire, l’absence de coordination, l’argent qui ne va qu’aux projets médiatisables et pas, par exemple, au ramassage des décombres qui empêchent pourtant toute reconstruction, l’ego démesuré de Clinton, le « retour sur investissement » qui renvoie l’argent investi vers le pays d’origine, et la liste est longue…
« Qui nous sauvera des sauveteurs ? »
Il pose surtout la question-clé de l’ingérence d’un humanitaire qui se fait malgré les autochtones et pas avec eux, avec de surcroît un agenda politique qui se manifeste lors d’une élection présidentielle mouvementée et controversée.
C’est ce qu’en retire aussi Pierre Salignon, directeur général de Médecins du monde, l’ONG française qui, dans Télérama, voit dans ce film « un appel salutaire à refonder le système de l’aide pour le rendre respectueux des attentes de ceux qui en bénéficient ».
Au bout du compte, on ne peut que partager ce cri du cœur final de Raoul Peck :
« Qui nous sauvera des sauveteurs ? »
Il ne s’agit pas ici de jeter le discrédit sur tous les humanitaires partout dans le monde, ce serait injuste et faux. Mais de s’interroger sur une machine infernale devenue folle, et surtout nuisible là même où elle aurait pu servir de cas d’école exemplaire, à un moment exceptionnel.
Haïti, tel que le décrit Raoul Peck, était une catastrophe dont on aurait pu sortir un bien, l’émergence d’une communauté internationale capable de faire des miracles quand elle parvient à se fixer un objectif commun. Le miracle n’a pas eu lieu. Il en reste un film beau, fort, qui suscite désespoir et colère. (http://www.rue89.com)