Monde/Religion-Scandale : Le Vatican déstabilisé par des fuites massives de documents confidentiels
Après la publication par les médias italiens de très nombreux documents sensibles, le Saint-Siège évoque un « acte criminel ».
Révélant des faiblesses de gouvernement, ces fuites risquent de fragiliser la « purification » voulue par Benoît XVI.
Trop, c’est trop. C’est avec une rapidité, et une vivacité inhabituelles que le Vatican a réagi, samedi 19 mai, à la nouvelle publication massive de documents confidentiels émanant de ses divers services, souvent au plus proche du pape.
Dans Sa Sainteté : les papiers secrets de Benoît XVI (1), le nouveau livre du journaliste italien Gianluigi Nuzzi, on trouve, en effet, pêle-mêle : le numéro du compte bancaire ouvert le 10 octobre 2007 par Benoît XVI auprès de la banque du Vatican ; une note confidentielle signée de Mgr Dominique Mamberti, chef de la diplomatie vaticane, préparant une rencontre du pape avec Giorgio Napolitano, président de la République italienne ; un fax adressé à Mgr Georg Gänswein, secrétaire particulier de Benoît XVI, par Dino Boffo, l’ancien directeur du quotidien catholique L’Avvenire, qui avait dû démissionner en 2009 à la suite d’une campagne l’accusant de comportements homosexuels, désignant explicitement le directeur de L’Osservatore Romano comme auteur de cette dénonciation ; des télégrammes diplomatiques émanant des nonciatures apostoliques évoquant les déviations sexuelles de prêtres, les conséquences du rapprochement avec les lefebvristes ou la situation des Légionnaires du Christ, etc.
La liste est ainsi longue, de ces documents ultra-confidentiels provenant tant de la Secrétairerie d’État, du Gouvernorat, de l’Administration du patrimoine du Siège apostolique (Apsa), que, dit Gianluigi Nuzzi, de la gendarmerie vaticane. Celle-là même qui mène l’enquête depuis la publication des premiers documents, début 2012.
D’ordinaire pétris du culte du secret pontifical, auquel ils sont contractuellement astreints, les acteurs de la scène vaticane travaillent depuis plusieurs mois dans une atmosphère empoisonnée, minée par la crainte de la délation.
LA DIPLOMATIE VATICANE DESTABILISÉE
Chacun s’inquiète, après la désignation par Benoît XVI, le 25 avril, d’une commission d’enquête présidée par le cardinal espagnol Julián Herranz Casado, de l’Opus Dei, président émérite du Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs, des conséquences de la « chasse au corbeau » qui fait les délices des médias italiens. Mais qui semble pourtant avoir fait chou blanc.
Dans un premier temps, les observateurs ont vu dans cette hémorragie de documents confidentiels une offensive visant à critiquer l’impéritie gouvernementale du secrétaire d’État, le cardinal Tarcisio Bertone.
Ce dernier semble en effet peu en mesure de remédier aux dysfonctionnements de l’administration mis au jour par ces fuites : luttes d’influence, affairisme, arrangements personnels…
Mais aujourd’hui, les conséquences de ces nouvelles fuites, massives et systématiques, risquent aussi de déstabiliser durablement la diplomatie vaticane, décrite comme une « diplomatie d’influence » fondée sur la confiance. Si s’installe la défiance, expliquent les diplomates accrédités, pourrons-nous continuer à nous exprimer en confiance devant nos interlocuteurs de la Curie ?
LE PAPE POURRAIT ÊTRE AFFECTÉ
Plus profondément, c’est la personne même du pape qui pourrait être affectée par des fuites incessantes qui mettraient en cause la crédibilité de son Magistère. Car Benoît XVI a voulu son pontificat voué à la« purification » d’anciennes pratiques financières et éthiques dommageables à l’Église.
Les ambassadeurs près le Saint-Siège résidant à Rome ont été ainsi conviés ces jours-ci à visiter l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la banque du Vatican) et à s’entretenir avec ses responsables, pour constater « de visu » leurs efforts en vue de figurer sur la « liste blanche » des États vertueux en matière de transparence financière et de lutte contre le blanchiment d’argent.
De même, fait rarissime, Benoît XVI a retiré, le 19 mai, sa charge épiscopale à Mgr Francesco Micciche, archevêque de Trapano (Sicile), accusé de complicité de malversations financières. Il avait également procédé de la sorte avec plusieurs épiscopats africains.
Mais, pour sa part, le cardinal Velasio de Paolis, nommé par Benoît XVI délégué avec pleins pouvoirs auprès des Légionnaires du Christ pour faire le ménage dans cette congrégation, a dû faire face, le 15 mai, à la révélation publique de sa paternité par le P. Thomas Williams, qui fut tout de même doyen de la faculté de théologie de l’Université romaine Regina Apostolorum de 2001 à 2007.
Confronté à tant de signaux préoccupants, Benoît XVI a choisi, le dimanche 20 mai, Journée mondiale des communications sociales, d’« appeler à prier pour que la communication, dans toutes ses formes, serve toujours à instaurer avec le prochain un dialogue authentique, fondé sur le respect réciproque, l’écoute et le partage » . Que ce soit dans les couloirs du Palais apostolique ou les médias italiens, il y a manifestement désormais loin de la théorie à la pratique.
Un « acte criminel »
Les responsables de « l’acte criminel « qu’est la publication de documents confidentiels du pape doivent pouvoir répondre de leurs actes devant la justice, si nécessaire en faisant appel à la collaboration internationale », a annoncé samedi 19 mai le Vatican dans un communiqué, parlant de « violation de la vie privée et de la dignité du pape – en tant que personne et en tant qu’autorité suprême de l’Église et de l’État du Vatican ».
Le Saint-Siège assure qu’il fera le nécessaire « afin que les personnes impliquées dans le vol, le recel et la divulgation d’informations secrètes, mais aussi dans l’utilisation à des fins commerciales de documents privés saisis et conservés de façon illégale, répondent de leurs actes devant la justice ».
(1) Sua Santità, le carte segrete di Benedetto XVI , Éd. Chiarelettere, 350 p., 16 €. Site : www.gianluiginuzzi.com.
Source et images : http://www.la-croix.com