Crise haïtienne : l’OEA secoue le cocotier de la communauté internationale
Communiqué du Secrétariat général de l’OEA sur Haïti, 8 août 2022, Démocratie et sécurité
La crise institutionnelle que vit Haïti est le résultat direct des actions des forces endogènes du pays et de la communauté internationale.
Les 20 dernières années de présence de la communauté internationale en Haïti constituent l’un des échecs les plus importants et manifestes de mesures mises en œuvre et d’actions réalisées dans le cadre de quelque action de coopération internationale que ce soit.
Cela n’a rien à voir avec les personnes qui, dans un esprit de service et de façon altruiste, ont travaillé comme coopérants et ont donné le meilleur d’eux-mêmes, et dans certains cas même leur vie, pour Haïti. Nous avons le plus grand respect pour ces personnes, qui méritent notre reconnaissance éternelle.
Nous parlons du fait qu’en 20 ans de stratégie politique erronée, la communauté internationale n’a pas été capable de faciliter la construction d’une seule institution ayant la capacité de répondre aux problèmes des Haïtiens, 20 ans plus tard pas une seule institution n’est plus forte qu’elle ne l’était auparavant.
Sous le parapluie de la communauté internationale, les bandes criminelles qui assiègent aujourd’hui le pays et son peuple ont fermenté et germé, sous ce parapluie le processus de désinstitutionnalisation et de crise politique que nous connaissons aujourd’hui a germé et couvé.
Alors, étant donné qu’elle a échoué, la communauté internationale s’est retirée d’Haïti, laissant derrière elle chaos, destruction et violence.
Actuellement, il est absurde de prétendre que dans ce contexte de destruction, les Haïtiens, complètement seuls, polarisés et disposant de très maigres ressources, pourraient reconstruire ou construire un projet de sécurité, de réinstitutionnalisation et de développement qui permettrait à 12 millions d’habitants de retrouver une coexistence pacifique. Ne disposant pas de ressources, dans un climat de violence, en l’absence de capacités technologiques ou d’accumulation financière, sans rien de tout cela, on tente aujourd’hui de faire croire qu’une solution haïtienne complètement endogène pourrait prospérer. Il n’en est pas ainsi.
En l’absence de conditions permettant d’assurer la démocratie et la sécurité, le pays souffre aujourd’hui d’un manque d’idées et de capacités réelles provenant de la communauté internationale, de même que de ses propres problèmes structurels. Une communauté internationale qui n’a jamais su si elle devait laisser la Minustah ou l’emporter, une communauté internationale qui croyait qu’en payant ses propres consultants elle résoudrait les problèmes des Haïtiens. Évidemment, rien de cela n’était possible et rien de cela n’est possible.
Démocratie
La construction de la démocratie dépend des citoyens, d’institutions fortes qui doivent en permanence être renforcées, des capacités de dialogue du système politique et de l’honnêteté de ce système politique. Elle dépend essentiellement des pouvoirs réels de l’État, des capacités et de l’indépendance nécessaires pour agir, de l’exercice et du plein respect (assuré par l’État) des libertés et des garanties fondamentales dans le cadre de l’exercice le plus large des droits économiques et sociaux, ainsi que de la mise sur pied d’un processus électoral crédible, juste et transparent.
L’exercice du pouvoir conformément à l’État de droit, l’efficience administrative et institutionnelle pour apporter des solutions aux problèmes des Haïtiens sont des conditions fondamentales de fonctionnement qui n’ont jamais été assurées par la communauté internationale en Haïti, qui n’ont jamais été construites par la communauté internationale en Haïti et qu’Haïti ne possède pas. Nous devons être conscients du fait que nous nous trouvons devant une version plus ou moins radicale d’un État en déroute et d’une société civile faible et vulnérable. Le pire des mondes, tant l’État que la société civile sont faibles.
On ne peut nier que la solution à cette situation revient aux Haïtiens, mais la communauté internationale a elle aussi un rôle à jouer.
La société haïtienne est très vulnérable et très polarisée, ses institutions et ses organisations sont très faibles, et il faut trouver un chemin vers un renforcement à partir du point zéro, si ce n’est pas de plus loin encore.
Cela ne sera pas possible sans réduire la polarisation et sans construire des capacités et bâtir des ponts entre les Haïtiens. Sans dialogue, c’est impossible.
La construction de la démocratie haïtienne passe par l’induction de capacités de dialogue, ce qui demande une confiance mutuelle entre les divers acteurs sociaux ou politiques en Haïti. Nous ne disposons aujourd’hui d’aucun système des balances, ni au sein du système politique, ni dans la dimension sociale; au contraire, la violence, un mauvais usage de la force interne, la logique criminelle dans les actions, des institutions en déroute et un manque de capacités de la société civile prévalent.
Pour parvenir à la paix dans le pays, il faut franchir une étape indispensable. Il faut que justice soit rendue pour l’assassinat du Président Jovenel Moïse. Si la vérité n’est pas établie, et si justice n’est pas rendue, il sera impossible d’avancer sur la voie de la réconciliation et de l’entente.
Pour résoudre ces questions, il faut tout d’abord construire les processus suivants :
• Un processus de dialogue institutionnalisé et inclusif de toutes les forces politiques qu’il serait possible d’y inclure. Dans ce processus, la communauté internationale peut apporter les ressources et établir les ponts entre les parties afin de les renforcer et de les guider sur un chemin qui les mènera vers le renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles.
• Un processus électoral crédible, juste et transparent.
• Un processus institutionnel de sécurité pour le pays.
Ces processus nécessitent la coopération de la communauté internationale, évidemment pour tout ce qui a trait aux ressources nécessaires, qu’elles soient financières, humaines ou matérielles.
Il serait un leurre de penser qu’une partie du travail pourrait être accomplie sans aucun soutien de la communauté internationale, qu’aucun de ces processus n’est nécessaire pour garantir que le pays puisse sortir de la crise dans laquelle il est plongé et que ces processus font toujours partie de l’horizon politique et socio-économique visible du pays. Cela ne peut être accompli sans que la communauté internationale ne paie la facture. Il n’y a pas tellement de membres de la communauté internationale qui soient capables de le faire. La responsabilité de payer la facture revient par conséquent à peu d’acteurs, qui ne doivent ni ne peuvent tarder à assumer cette responsabilité parce que le temps joue contre Haïti étant donné que tout ce qui se produit empire tout simplement la situation.
Nous devons évidemment attendre que des forces internes haïtiennes s’opposent à ces trois processus, qu’elles s’opposent au dialogue institutionnalisé parce que celui-ci peut comporter des avantages en ce qui concerne la stabilité politique dans le pays, ce qui affecterait gravement certains intérêts qui prévalent actuellement en Haïti. Ces forces s’opposeront évidemment elles aussi à un processus électoral crédible, juste et transparent parce que les façons de prendre le pouvoir selon les logiques politiques actuelles ont été complètement différentes d’un tel processus. Il y aura également sûrement une opposition à l’élaboration d’un processus institutionnel en matière de sécurité pour le pays comportant un engagement fort face à la communauté internationale, étant donné que cela démantèlerait la situation de prédominance de la violence des bandes armées et de la criminalité organisée.
À regarder la situation actuelle en Haïti, on comprend pourquoi de l’existence de forces internes qui voulaient, avec une complicité externe, que la Minustah se retire. C’était simplement pour préparer le terrain afin qu’une situation comme celle qu’on constate actuellement puisse exister.
Il est absolument nécessaire de renverser le processus de violence au moyen de nouvelles conditions institutionnelles accompagnées d’un engagement international différent qui permette de contrôler la situation de violence et de désarmer les bandes armées. Il est impératif de traquer les opérations territoriales de la criminalité organisée. Toutefois, les ressources humaines, financières et matérielles pour ce faire doivent provenir en majeure partie de la communauté internationale. Haïti ne dispose pas des ressources humaines préparées et formées pour ce faire, elle n’a pas de capacités dans son accumulation financière, elle ne dispose pas des capacités techniques nécessaires pour faire face à la situation d’insécurité à laquelle elle est confrontée. Par conséquent, prendre un autre chemin serait fausser complètement la réalité.
Des capacités similaires doivent être développées pour mettre en place un processus de dialogue conduisant quant à lui à un processus électoral libre et juste. Nous estimons que l’ensemble de la communauté internationale a un rôle à jouer, mais il serait essentiel que toutes les ressources relatives à tous ces processus soient concentrées en un seul mécanisme institutionnalisé et centralisé, plutôt qu’en une superposition de volontarismes qui ne mènent à rien.
Ces processus sont absolument nécessaires et il est essentiel de les mettre en marche dès que possible, en commençant par le dialogue. Nous devons supposer que les deux autres processus seront élaborés sur cette base plutôt qu’à partir de décisions improvisées provenant entièrement de l’extérieur et inadaptées à ce que peuvent recevoir et faire la culture politique et la culture sociale du pays, mais il est évident que les ressources n’existent pas en Haïti, qu’elles doivent y être introduites par le biais d’un processus institutionnalisé de la communauté internationale comportant une composante importante de surveillance et de lutte contre la corruption afin d’éviter que les ressources ne soient détournées et mal utilisées.
À partir des travaux relatifs à ces trois processus, il faudra élaborer une Constitution qui résolve les graves déficiences ainsi que les problèmes de la Constitution actuelle.
• Une Banque centrale autonome, forte et responsable
• Un système de justice indépendant fort et efficace
• Un système d’éducation doté de capacités d’apporter des solutions réelles aux besoins des enfants et de la jeunesse haïtienne
• Un processus d’investissement graduel qui permette d’apporter du travail et des emplois aux Haïtiens et Haïtiennes
Ne pas tenir compte de ces nécessités signifierait fausser complètement la réalité. Vouloir attendre, jusqu’à ce qu’Haïti accumule ses propres capacités sans aide internationale prendrait des années; le pays ne dispose pas actuellement et ne disposera pas dans un avenir rapproché des conditions nécessaires pour y arriver seul.
Si nous voulons résoudre la crise et apporter une solution aux graves problèmes d’Haïti sans aucun de ces éléments, nous nous trouverons alors à la dernière étape d’un état d’auto-tromperie, ce qui ne serait pas aussi grave que le fait que nous tromperions également le peuple haïtien, le laissant croire que nous avions trouvé une solution réelle pour lui.
Pendant que nous continuons d’attendre que la situation en Haïti s’améliore, les problèmes s’exacerbent. Selon l’UNICEF, de nombreuses écoles sont fermées depuis trois ans à cause de la pandémie de COVID-19 et leur réouverture a échoué à cause de la violence criminelle qui affecte les communautés du pays et de l’extorsion à laquelle elles ont soumis les autorités scolaires.
La communauté internationale, les institutions financières internationales, le système multilatéral, la communauté financière internationale des pays donateurs doivent prendre une décision, à savoir s’ils veulent industrialiser Haïti en termes suffisants pour assurer du travail à 9 millions d’Haïtiens, ou s’il est économiquement plus rentable de continuer à absorber la migration haïtienne et de laisser les pays d’accueil recevoir cette migration comme ils le peuvent et où ils le peuvent, dans les conditions économiques qu’ils peuvent donner. Il s’agit d’une décision très importante car elle déterminera la question de savoir si la situation haïtienne reste dans un état de crise permanente aux dimensions de plus en plus tragiques, ou si nous nous dirigeons vers un processus de transformation dans lequel nous assurons des investissements suffisants et leur durabilité, et donc la stabilité sociale du pays. Il est nécessaire d’assurer une stratégie qui inclut le « Et ensuite quoi ? » Cela inclut l’importance du modèle éducatif et des conditions de travail sûres.
Par surcroît, la prospérité à venir d’Haïti dépend du développement de ses jeunes. La dénutrition chronique chez les enfants est irréversible, réduisant leur capacité cognitive de 40%. Pour construire un avenir durable en Haïti, son capital humain doit être hautement qualifié et doit pouvoir compétitionner sur les marchés du travail locaux et internationaux. Les déficiences actuelles en matière de sécurité alimentaire, causées par la faible capitalisation en matière d’agriculture et par les difficultés de transporter les aliments à cause de blocus imposés par des groupes criminels et une infrastructure pauvre, ne feront qu’éloigner le pays de l’objectif d’éliminer l’extrême pauvreté.
Pour mettre fin rapidement au retard scolaire et à la dénutrition dont souffrent les enfants en Haïti, il faut absolument que cesse l’état de guerre interne qui existe actuellement. Nous réitérons publiquement notre demande de mettre fin à la violence armée dans le pays.
Il est urgent de poursuivre les travaux visant à renforcer la présence de la sécurité et d’entreprendre le processus de démocratisation.
Référence : F-045/22
Source: Le Nouveliste