Pour éviter plusieurs milliers de morts en Haïti, diagnostic et recommandations du Dr Jean W. Pape
Pour préparer la réponse au Covid-19, les autorités haïtiennes travaillent à partir de « simulations » effectuées par deux universités. L’américaine Cornell et l’anglaise Oxford. Dans le meilleur comme dans le pire des scénarios, il est prévu des centaines de milliers de malades, des lits d’hôpitaux par milliers qu’Haïti n’a pas, pour ne pas avoir sur les bras une hécatombe.
Le scénario « extrême », a appris le journal d’une interview exclusive avec le Dr Jean William Pape, table sur le taux d’infection de 86 % de la population, impliquant 426 000 personnes à hospitaliser. Il faudrait 9 000 lits. Le pic serait atteint entre fin mai et début juin. Si l’on dispose de moyens hospitaliers pour tous ces patients, il faudrait s’attendre à au moins 20 000 morts.
Sans les 9 000 lits pour faire la prise en charge, il faudrait compter 5 à 10 fois plus de morts, a confié au journal le Dr Jean William Pape, directeur des centres Gheskio et coprésident de la commission multisectorielle de gestion du Covid-19, jeudi 23 avril 2020.
« En Haïti, il y a 94 000 décès par année. Il est évident que certains de ces décès seraient parmi les 94 000. Voilà en gros ce à quoi on doit s’attendre », a-t-il dit.
L’autre scénario table sur 35 % d’infection au sein de la population, l’hospitalisation entre fin avril et août de 313 000 personnes, la disponibilité de 7 500 lits et 5 700 morts. Le pic de l’épidémie serait atteint en juin, a expliqué le Dr Jean William, qui a souligné que les 5 700 morts est « non réaliste ».
« À New York, il y a déjà plus de 10 000 décès pour une population de 10 millions d’habitants avec des infrastructures hospitalières bien meilleures que les nôtres », a soutenu le Dr Pape. Les lits nécessaires à la prise en charge des probables patients haïtiens ne sont même pas encore disponibles. « C’est ce qu’il faut chercher », a-t-il conseillé.
« Jusqu’à présent, on n’a pas un sou », s’est empressé de souligner le Dr Jean William Pape. « Tout l’argent qu’on a vient du Trésor public et des fonds que la fondation FHAME a collecté au nom de Gheskio et que nous mettons complètement à la disposition de la commission nationale », a-t-il indiqué sans masquer une pointe de déception.
Entre les annonces et la disponibilité des fonds, le temps qui passe est précieux. « C’est très décevant parce que ces 111,6 millions du FMI sont pour la balance des paiements. C’est quelque chose qui était en cours bien avant le Covid-19 . Ils ont profité pour les libérer à cause du Covid-19 parce qu’ils savent que le gouvernement n’a pas de rentrées. Jusqu’à présent, on n’a absolument rien », a expliqué le Dr Jean William Pape, qui a mis sur le tapis d’autres difficultés rencontrées dans la mise en place pour faire la prise en charge des patients.
La compétition entre les pays pour obtenir des équipements médicaux est féroce et les procédures administratives prennent beaucoup de temps en Haïti. Les équipements médicaux et sanitaires pour un montant de 18 millions de dollars commandés de la Chine « ne sont pas encore arrivés » . Le transport « coûte extrêmement cher » . « Si vous ne pouvez pas envoyer le paiement le jour même, l’offre n’est plus disponible », a ajouté le Dr Jean William Pape. « Je ne vois pas un seul président réussir dans ce pays avec cette lenteur administrative. C’est tout à fait impossible », a-t-il confié. « Je comprends les soucis des administrateurs. Ils veulent s’assurer que tous les documents sont disponibles. En même temps, il y a une urgence. Je pense qu’on ne peut pas concilier les deux. Vous êtes dans une situation où si vous ne commandez pas immédiatement, un autre pays en profite pour prendre les équipements dont vous avez besoin », a souligné le Dr Jean William Pape.
Pour le moment, seuls les 111 millions de dollars du Fonds monétaire international (FMI) sont à la disposition des autirités haïtiennes. La Banque interaméricaine de développement, la Banque mondiale et la USAID ont fait des annonces mais leur argent répond à des calendriers, des délais, des conditions et des procédures.
Sensibilisation, masques, tests…
En dépit de toutes les difficultés, Dr Jean William Pape continue de miser sur la sensibilisation pour réduire le nombre de morts du Covid-19 en Haïti. Si les instructions sur le lavage des mains, la distance physique et le port de masques sont suivies à 50 %, cela permettrait de diminuer de 2/3 le nombre de décès du Covid-19, a-t-il assuré lors dune interview exclusive accordée à Frantz Duval pour Le Nouvelliste, 23 avril 2020.
Le Dr Pape a salué le plan de communication «excellent» réalisé pour le compte de la Commission multisectorielle par sept experts en communication de toutes tendances politiques confondues. «Le plan pourrait être rendu public assez rapidement. C’est un travail fait en un temps record. Il faut maintenant le financer. Nous n’avons pas un sou», a dit Dr Jean William Pape qui invite chacun à faire sa part dans l’effort national face au Covid-19.
« Chacun doit faire son travail. La maladie n’est pas la maladie du gouvernement. Elle ne s’appelle pas Jovenel Moïse, ni X ou Y. C’est une maladie qui a attaqué la planète entière. Quel que soit votre tendance ou opinion politique, vous avez la responsabilité d’aider à contenir cette maladie. Un proche, un ami, vous ou moi peut mourir de cette maladie. C’est notre responsabilité. On ne peut pas tout laisser sur le dos du gouvernement. Il n’a pas les moyens de le faire », a insisté Dr Jean William Pape qui a illustré l’importance de la sensibilisation en s’inspirant sur le comportement de membres de la population qui ont pris de force un patient atteint du covid-19 dans une unité de traitement de Côte-de-Fer, dans le Sud-Est.
«Cette ignorance-là va vraiment provoquer une augmentation du nombre de décès. Malheureusement !», a poursuivi le Dr Pape qui, pour la frontière, croit qu’il faut un screening plus systématique de nos compatriotes qui reviennent de la République dominicaine. « Les Haïtiens viennent en grande quantité. Et là, il faut absolument mettre en place un système pour vérification pour relever les symptomatiques, les mettre en quarantaine. Ceux qui sont positifs, on les soigne. Ce n’est pas compliqué mais notre infrastructure est très faible pour faire toute ces choses » , a-t-il nuancé.
Masques
Sur le port du masque, le Dr Jean William Pape encourage la protection du visage. « C’est la chose la plus importante. Avec un masque fait avec une matière comme le canevas ou avec un foulard. La réalité est que n’importe qui peut faire un masque. Un masque coûte la moitié du prix d’une course de motocyclette, et il sauve des vies, a-t-il dit, soulignant que l’important est de contrer le virus, de diminuer la charge à laquelle on peut être exposée. Les usines haïtiennes qui avaient promis des masques prennent du temps avant d’atteindre leur vitesse de croisière dans la fabrication de masques», a indiqué le Dr Jean William Pape.
Test
L’OMS vient de sortir un document demandant de faire attention au test fait à base d’anticorps, a souligné le Dr Jean William Pape, soulignant que ces tests « créent énormément de problèmes » en donnant des résultats qui sont de faux positifs ou de faux négatifs. « Le PCR est le seul test qui vous garantit la fiabilité du résultat », a dit Dr Pape. Interrogé sur la disponibilité en quantité suffisante du PCR, il a assuré qu’il n’ y a pas de problème à ce niveau. « Absolument, il n’y a pas de problème. Évidemment, vous n’allez pas tester chaque personne. Personne ne le fait . On teste les gens qui sont symptomatiques », a indiqué Dr Jean William Pape.
Source: Le Nouveliste