Etzer Emile passe le budget 2018-2019 au microscope

L’époque où les projets de lois de finances étaient votés et adoptés à la cloche de bois, dans l’indifférence totale, est désormais révolue. Une fois soumis aux deux branches du pouvoir législatif, les projets de budget de l’exécutif sont scrutés, passés au crible par des économistes à l’intention des journalistes pour une plus grande vulgarisation auprès de la population. Selon l’économiste, le citoyen haïtien n’a pas été au centre du montage et n’a pas participé au processus de l’élaboration du budget.

Au rang des constats majeurs qui sont relevés dans ce budget, fruit de l’examen minutieux de l’économiste, la modification de l’impôt sur le revenu individuel taxé plus fortement pour la majorité des personnes. La confirmation encore une fois de l’exonération sur les énergies renouvelables et des droits de douanes pour les ONG qui sont passés de 0% à 50%.

« Les gens qui gagnent à partir de 28 350 gourdes par mois ont vu leur revenu disponible diminué avec une augmentation de la taxation sur l’impôt sur le revenu », constate Etzer Emile. Il signale que le projet de loi de finances pour l’exercice 2018-2019 a été soumis au Parlement le 11 décembre dernier en violation du cycle budgétaire prévoyant son dépôt au plus tard le 30 juin ainsi que son vote dans les mêmes termes par les deux chambres le 30 septembre au plus tard.

Pour Etzer Emile, le budget soumis par l’exécutif n’est ni crédible, ni sincère, car il juge les prévisions de recettes trop optimistes. « Les prévisions de revenus trop optimistes, non atteignables confirment un budget déficitaire au départ. Le déficit budgétaire risque d’atteindre les 30 milliards de gourdes », prédit l’économiste, qui avance plusieurs exemples pour étayer son affirmation.

Au niveau des recettes, dit-il, le projet de budget 2018-2019 propose une collecte ambitieuse des organismes de perception avec un taux d’accroissement de 44% par rapport à l’encaissement effectif de 2017-2018. Les recettes douanières passent de 20,4 milliards à 35,5 milliards, soit une augmentation de 74%. Les recettes des entreprises publiques de 3 milliards de gourdes sont hypothétiques. Les prévisions de financement interne ont presque doublé, passant de 16 milliards à 29 milliards ; les dons de 29 milliards ne sont pas atteignables vu les faibles promesses. Les prévisions de dépenses sont hypothétiques vu que les rentrées sont incertaines. Enfin, les prévisions de croissance de 2.8% sont hypothétiques vu la performance des quatre dernières années.

En outre, le directeur de Haïti Efficace doute sérieusement que le budget soit au service de la croissance et de l’emploi puisqu’il dénote l’absence de programme de stage dans le secteur public pour les jeunes, de projets d’infrastructures sollicitant une forte main-d’œuvre – rénovation de bâtiments, adoquinage des rues… pour booster la création d’emplois. Selon lui, le choix de projets sous l’influence des parlementaires, qui ne sont pas nécessairement opportuns et le plus souvent non accompagné d’étude de préfaisabilité, n’aura aucun effet levier sur la croissance.

« On reprend les mêmes ossatures, les mêmes réflexes […] La rupture n’est pas de mise. L’État de service, générateur de croissance et de richesses, n’est toujours pas au rendez-vous », analyse Etzer Emile, déplorant le caractère peu innovant du budget 2018-2019 qui, de surcroît, n’est pas conforme aux procédures. Le président du GEEF fait donc remarquer que le projet de budget a été déposé au Parlement sans la loi des règlements de l’année n-2 et plaide pour l’élaboration de nouveaux documents accompagnant la loi de finances, à savoir le Document de Programmation Budgétaire et Économique Pluriannuelle et le Document de Programmation Pluriannuelle des Dépenses.

« L’annexe qui devrait contenir les programmes n’est pas encore publié. L’outil actuel que constitue le « budget-programme » est conçu avec des impératifs relevant autant d’un souci de contrôle que d’une volonté d’efficacité », souligne l’économiste Émile, pointant du doigt un budget qui ne renforce pas suffisamment les institutions de lutte contre la corruption. Le budget de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) est en baisse de 23%, passant de 1,6 milliard à 1,3 milliard de gourdes. Il dénote une augmentation certes pour l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF), de 65 à 74 millions de gourdes, mais qui reste très marginale. L’enveloppe allouée à l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) est en hausse de 32%, passant de 184 millions à 244 millions de gourdes.

Entre autres faits à signaler, Etzer Emile souligne la réduction du budget du Parlement (5,9 milliards de gourdes contre les 7,19 milliards de gourdes de l’année dernière). L’augmentation de manière substantielle (50%) du service de la dette a augmenté pour atteindre 21,5 milliards de gourdes, soit 12% de l’enveloppe totale. L’augmentation de 14% des salaires et traitements (41,9 milliards de gourdes à 49,8 milliards gourdes) tenant compte des 3,7 milliards de gourdes relatifs à l’ajustement du salaire minimum. Les activités électorales prévues à 3 milliards de gourdes au niveau des interventions publiques. La réduction des dépenses du personnel consulaire et diplomatique à l’extérieur de 1 milliard de gourdes. La baisse du budget de fonctionnement de la Présidence de 160 millions de gourdes et de la Primature de 241 millions de gourdes. La baisse du budget de fonctionnement du Ministère de l’Intérieur de 308 millions de gourdes. L’augmentation de la PNH de 750 millions de gourdes. La réduction de près de 4 milliards de gourdes du budget de ministère de l’Education nationale (MENFP) due notamment au retrait de plusieurs bailleurs dans ce secteur. L’augmentation de 41% du budget du ministère des Affaires sociales, 2,32 milliards de gourdes à 3,28 milliards de gourdes ; l’augmentation du budget du ministère de la Santé publique qui a plus que doublé pour passer de 5,6 milliards à 12,13 milliards de gourdes.

Par ailleurs, avant de clore sa présentation, Etzer Emile a énuméré un ensemble de mesures liées au train de vie de l’État. Il s’agit de la limitation des frais de soutien par carte de débit à 50% du salaire brut. La responsabilité pécuniaire et personnelle de tous les ordonnateurs sollicitant au ministre des Finances des mains levées. Le per diem rendu nul à partir de l’onzième jour de voyage. La limitation maximale des délégations à l’étranger à 5 personnes. La réduction des véhicules de l’État par la vente directe aux utilisateurs actuels et donc des charges d’entretien de ces véhicules. Et de la facilité offerte à des fonctionnaires pour l’acquisition de leurs véhicules à un prix incitatif.

Brève présentation d’Haïti Efficace et du Groupe d’Education Economique et Financière (GEEF) : La firme de consultation Haïti Efficace est une société en nom collectif créée en 2014 avec des expertises et expériences dans en Economie, Gestion, Finance, Commerce et Marketing. Le Groupe d’Education Economique et Financière (GEEF) est une structure à but non lucratif, de type associatif, créée en 2018 pour promouvoir l’éducation économique et financière au niveau de la société à travers des conférences, émissions, articles, ateliers, capsules vidéo, etc.)

Patrick Saint-Pré

Le Nouvelliste

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