Port-au-Prince sur le qui-vive, Jovenel Moïse visite les commissariats
Des magasins de la place se fortifient, des ambassades étrangères lancent des alertes à leurs ressortissants, les gens se bousculent dans les supermarchés pour s’approvisionner, des appels à manifestation pour le 17 octobre fusent de toutes parts… Port-au-Prince est sur le qui-vive. Le spectre de la violence hante les esprits et les séquelles des émeutes des 6 et 7 juillet sont encore visibles. Pour prendre le contrôle de la situation, le président de la République visite les commissariats de la capitale sans se faire accompagner du directeur général de la police Michel-Ange Gédéon ni des ministres en charge du secteur sécuritaire.
Les gens ont peur. Dans les supermarchés à Port-au-Prince, ils se bousculent pour s’approvisionner en produits de première nécessité. Victime d’un déficit de confiance, le gouvernement ne rassure pas. Le gouvernement ne peut pas rassurer. Les messages qui circulent sur les réseaux sociaux alimentent l’angoisse. Depuis les émeutes des 6 et 7 juillet, les commerçants de la capitale ont compris qu’ils devaient s’occuper eux-mêmes de leur sécurité. Pour ce faire, ils se barricadent derrière des murs de plus de trois mètres de hauteur.
À l’approche des manifestations prévues le mercredi 17 octobre, des institutions internationales et des ambassades étrangères en Haïti lancent des alertes à leurs fonctionnaires et à leurs ressortissants.
Parmi les messages envoyés, on peut lire des mises en garde comme : « Il est conseillé aux membres du personnel de rester chez eux le 17 octobre, car les membres de la police s’occuperont de sécuriser les manifestations et ne seront probablement pas disponibles pour répondre aux appels de service en cas d’urgence. Vous vous approvisionnez en eau, nourriture, médicaments, carburant et tout autre article que vous pourriez avoir besoin de mettre à l’abri sur place pendant trois jours ou plus… »
Ou encore des messages du genre : « Révisez votre plan de sécurité personnel ; réexaminez les projets de voyage au cours de cette période, en raison du risque de fermeture des routes ; surveillez les bulletins de nouvelles locales; évitez les manifestations et tout grand rassemblement de personnes; partagez vos coordonnées et vos projets de voyage avec votre famille, vos amis ou d’autres personnes; n’essayez pas de franchir des barrages routiers; si vous rencontrez un obstacle, faites demi-tour et rendez-vous dans un endroit sûr… »
La Banque centrale a dû sortir un avis lundi pour exiger des institutions financières du pays l’ouverture de leurs portes ce mardi 16 octobre. D’autres entreprises annoncent qu’elles fermeront leurs portes à partir de midi ce mardi.
Pour plus d’un, les manifestations des élèves des établissements scolaires publics vendredi dernier et ce lundi sont des avant-goût de ce qui attend le pays le 17 octobre prochain. Ils étaient des centaines d’écoliers à gagner les rues de la capitale pour exiger la construction d’écoles publiques avec l’argent de PetroCaribe. L’image des élèves en uniforme qui parcouraient les rues de Port-au-Prince scandant « Nous voulons l’argent du PetroCaribe » était sur tous les réseaux sociaux et le message fort.
À l’occasion de la commémoration de l’assassinat du père de la nation, Jean-Jacques Dessalines, ce 17 octobre qui est un jour férié en Haïti, des partis politiques de l’opposition, des internautes de mouvement #PetroCaribeChallenge, des groupes organisés dans la société appellent la population à gagner les rues pour exiger des explications sur l’utilisation du fonds PetroCaribe. Toutefois, les partis politiques eux, en plus de la reddition des comptes, vont manifester pour exiger le départ du président de la République.
D’autres structures de la société comptent aussi gagner les rues pour régler leurs comptes personnels avec le gouvernement. C’est le cas du puissant pasteur protestant Muscadin André, responsable de la Radio, télévision et église Shalom. Ce dernier reproche à la DGI d’avoir gelé les comptes en banque de ses institutions exigeant le payement de plus de 3 millions de de gourdes de taxes. Le pasteur appelle ses fidèles à manifester.
Selon des sources proches du gouvernement, l’église Shalom n’est pourtant pas visée dans les mesures de la DGI, mais la Radio et la Télévision Shalom qui sont considérées comme des entreprises commerciales et qui de ce fait doivent payer des taxes à l’État. « On est en train de faire le recouvrement des créances. Son compte est bloqué pour non-respect des engagements envers l’État estimés à de 3.5 millions de gourdes », affirment nos sources.
Parallèlement à ces différents griefs et revendications, la gourde poursuit sa descente aux enfers par rapport au dollar américain. Ce lundi, pour un dollar américain, il vous fallait pas moins de 73 gourdes. Un taux de change record. Conséquemment, les prix des produits de première nécessité grimpent. Une situation qui vient s’ajouter à la liste des frustrations de la population.
Pour montrer qu’il a le contrôle de la situation, le président de la République a entamé depuis vendredi dernier une série de visites dans les principaux commissariats de l’aire métropolitaine comme la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID), le commissariat de Port-au-Prince, la base du Groupe d’intervention police nationale d’Haïti, la direction départementale de la PNH, la base du Corps d’intervention et du maintien de l’ordre (CIMO). Cependant, Jovenel Moïse ne s’était pas fait accompagner du directeur général de la police nationale dans ses différentes visites.
Le Premier ministre Jean-Henry Céant, président du Conseil supérieur de la police nationale (CSPN), a, quant à lui, rendu visite lundi au directeur général de la police national, Michel-Ange Gédéon, au quartier général de la PNH à Pétion-Ville.
Dans un message préenregistré publié mardi soir, le directeur général de la PNH a donné la garantie que l’institution qu’il dirige continuera à remplir sa mission qui est de protéger et de servir sans prendre parti. Toutefois, Michel-Ange Gédéon a indiqué que devant la violence la police ne restera pas les bras croisés.
Des informations laissent croire que pendant ses visites aux commissariats de police, le chef de l’État aurait distribué de l’argent liquide aux policiers et aux responsables des commissariats. Le secrétaire d’État à la Sécurité publique, qui n’avait pas non plus accompagné Jovenel Moïse lors de ces visites, porte un démenti à ces informations.
Intervenant lundi soir à l’émission Haïti « Sa k ap kwit ? » sur Télé 20, Ronsard St-Cyr a fait savoir que plus de 1 500 policiers sont déjà déployés un peu partout à travers Port-au-Prince et des zones avoisinantes. Selon le secrétaire d’État à la Sécurité publique, toutes les dispositions ont été prises pour assurer la sécurité des vies et des biens de la population ce mercredi 17 octobre. Il a donné la garantie que contrairement aux événements des 6 et 7 juillet derniers, les forces de l’ordre sont mieux préparées à anticiper les éventuels actes de violence.
Robenson Geffrard
Le Nouvelliste