Haïti : Pays spécial, Parlement spécial, Économie spéciale

Cela fait un peu plus d’un an depuis que le pays s’est engagé dans des élections. Des élections spéciales qui durent et durent encore. Le CEP a ses résultats. Les mouvements de rue ont leurs résultats. Les camps politiques ont leurs propres résultats. Personne ne sait exactement ce qui s’était passé. On ne sait pas qui est élu. On ne sait pas qui est mal élu. Tout individu est expert. Tout citoyen est journaliste. Les gens sur tous les réseaux sociaux polluent, intoxiquent, créent des rumeurs, déstabilisent, arrangent et dérangent. Nos institutions ne fonctionnent pas. Elles sont faibles, trop faibles. Pour cette année, les élections sont prévues pour le 9 octobre. À moins d’un mois, rien n’est sûr. Certains y croient, d’autres n’y croient pas. Alors que dans tout pays organisé, les dates des élections pour les cinq ou dix prochaines années sont connues et seront respectées. Nous voulons nous comporter comme un cas spécial.

Nos maires sont prêts à manifester pour faire respecter les fonds des collectivités qui seraient utilisés ou en passe d’être utilisés pour financer des programmes d’accompagnement familial pour la rentrée scolaire. L’État des collectivités se met en face de l’État central.

Au Parlement, le schéma n’est pas différent. Nos parlementaires sont imprévisibles. Quand il fallait être investi dans les fonctions, ils étaient présents, tous, voire un jour à l’avance, mais quand il faut se réunir pour statuer sur des problématiques brûlantes pour le pays, la chaise vide et le marronnage deviennent des armes de bataille. Le gouvernement risque de commencer la nouvelle année fiscale sans une loi de finances ; le budget n’est toujours pas voté par les deux chambres. Le pays fonctionne actuellement sur un budget rectificatif proposé et non ratifié. Dans n’importe quel autre pays, sans une loi de finances ratifiée par les deux chambres, l’État devrait cesser de fonctionner. Ici, on fonctionne quand même. On fait semblant de fonctionner de préférence.

En plus, nos parlementaires n’ont toujours pas ratifié l’accord de Paris sur le réchauffement climatique, qui peut être vu comme un mauvais signal à nos partenaires internationaux dans la lutte contre le changement climatique, alors que parallèlement Haïti est parmi les trois pays qui ont le plus haut indice de vulnérabilité aux changements climatiques. Mais comme Haïti est spécial, tout passe. La vie continue. L’économie suit la tendance. Elle veut se développer alors que le crédit n’est pas démocratisé. Elle veut créer de la richesse alors que c’est le petit commerce sans aucune valeur ajoutée qui domine. Elle veut relancer la production nationale alors que ces tarifs à l’importation sont parmi les plus bas du monde. Au fil du temps, l’économie haïtienne est devenue la plus ouverte de la Caraïbe, la plus libérale, la plus inégalitaire, la plus anarchique, la plus dépendante des transferts de la diaspora, la plus archaïque, bref la plus bancale. Une économie qui croît à un rythme trop faible par rapport à la croissance de la population. 1,2 % contre 2,2 %. En d’autres termes, l’économie qui devrait créer de la richesse et de l’emploi appauvrit sa population.

Haïti doit cesser d’être un pays spécial pour évoluer comme un État normal qui est dirigé par des lois et des institutions fortes et permanentes dans un environnement de stabilité. Le Parlement doit devenir une vraie machine de contrôle et d’orientation de la vie sociale, politique et économique dans le sens du bien-être collectif, et l’économie doit devenir productive, compétitive et créatrice de richesses et d’emplois.

Etzer S. Émile, M.B.A.

Économiste etzeremile@gmail.com

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