Haïti – Politique: 78 jours de gouvernance économique : quel bilan du gouvernement provisoire ?
Le premier ministre Enex Jean-Charles a présenté hier lundi 13 Juin 2016 au parlement un tout petit bilan des activités politiques, économiques et sociales du gouvernement provisoire, dans le cadre de l’ouverture de la deuxième session ordinaire de l’année législative, conformément aux prescrits de la Constitution en vigueur.
78 jours de gouvernance économique, qu’est ce qu’on pouvait attendre de vraiment satisfaisant sur le plan économique d’un gouvernement qui a pris le pouvoir dans un contexte politique difficile et qui faisait face à de sérieux problèmes surtout d’ordre financière. Les recettes de l’Etat ne peuvent même pas couvrir 80% des dépenses, les dons officiels sont en nette baisse cette année et les apports du programme Petrocaribe ne dépassent pas les 3 milliards de gourdes sur l’ensemble de l’année fiscale.
Donc, sur le plan économique, le bilan ne saurait être reluisant. Le prix du dollar américain par rapport à la gourde reste très élevé par rapport à la structure de l’économie, malgré une certaine stabilisation autour de 62 gourdes pour 1 dollar de mars à Mai 2016 ; l’inflation ne cesse de tenir sa course à double chiffre, ce qui continue de détériorer le pouvoir d’achat des ménages en Haïti et Il n’y a presque pas d’investissements productifs dans l’économie durant ces derniers mois, car de Février à Avril 2016, le gouvernement a dépensé seulement environ 797 millions de gourdes en termes de projets d’investissement, soit environ 12 millions de dollars américains, selon les données fournies par le ministère de l’économie et des finances (MEF) dans le tableau des opérations financières de l’Etat.
Si la mission du gouvernement provisoire était beaucoup plus politique qu’économique, d’importantes mesures ont été prises pour assainir les finances publiques, ce que nous avions demandé dès le premier jour du président Privert au pouvoir. En effet, l’adoption d’une certaine discipline budgétaire, tout en rationalisant les dépenses a permis de réduire le déficit budgétaire au cours du deuxième trimestre par rapport trimestre précédent. En fait, le déficit budgétaire est passé d’environ 6.70 milliards de gourdes au premier trimestre à 1.46 milliard de gourdes au deuxième trimestre de l’exercice.
D’un autre côté, l’assainissement des finances publiques a permis de réduire les créances de la BRH sur le trésor publique et ainsi favoriser une diminution du financement monétaire qui est passé de 5.9 milliards à environ 1 milliard de gourdes au cours de ces quatre derniers mois. L’un des éléments stratégiques clés qui ont pu booster ces résultats est la signature en Avril dernier de cet accord entre le MEF et la BRH visant à adopter un nouveau modèle de gestion des finances publiques, dénommé »cash management », qui permet d’éviter les gabegies administratives et exige l’administration publique à consentir des dépenses en fonctions des recettes collectées.
D’autres mesures prises par les autorités monétaires et qui ont marqué les 78 jours du gouvernement et dont les effets pourraient se faire sentir dans les mois à venir est la limitation de nouveaux crédits en dollars américains pour réduire la pression sur la demande de devise ; le desserrement des taux sur les bons BRH pour relâcher un peu le marché du crédit et l’offre de ce nouveau produit »Obligations BRH » qui vise indirectement à contenir l’inflation.
78 jours de gouvernance économique du gouvernement provisoire, on ne saurait espérer de grand-chose sur le plan économique dans ce contexte politique des plus fragiles qui rend évidemment l’administration publique instable et inefficace. Qui sera à la tête de l’économie haïtienne à partir de demain ? Personne ne sait. Des incertitudes qui favorisent évidemment plus de corruption, plus de contrebandes, qui handicap l’administration publique et qui présentent des conditions défavorables à l’investissement, pour plus de misère et plus de pauvreté dans le pays.
Riphard Serent, MPA (Policy)
Economiste
