Haïti-République Dominicaine : L’impact du journalisme citoyen dans le débat sur l’arrêt TC 168-13
Par Wooldy Edson Louidor
Santo Domingo, 12 avril 2016 [AlterPresse] — Espacio de Comunicación Insular (http://www.espacinsular.org) a récemment présenté, en République Dominicaine, les résultats d’une recherche, réalisée, en 2015, par cette agence de presse, sur l’incidence de l’exercice du journalisme citoyen, à travers les réseaux sociaux, sur l’arrêt 168-13 de la Cour Constitutionnelle dominicaine, publié en date du 23 septembre 2013, a observé l’agence en ligne AlterPresse.
Les résultats ont été publiés fin 2015, sous forme de livre, par Espacio de Comunicación Insular [conjointement avec l’Association mondiale pour la communication chrétienne (Wacc, pour son sigle en Anglais) et l’Église évangélique Waldensian en Italie -Otto Per Mille (Opm)].
Le titre original du livre est : « El periodismo ciudadano y su ejercicio en la defensa de los derechos ciudadanos de personas afectadas por la sentencia 168-13 en República Dominicana” (en Français, Le journalisme citoyen et son exercice en vue de la défense des droits à la citoyenneté des personnes affectées par l’arrêt 168-13 en République Dominicaine ».
Cinq aspects sont à souligner au sujet de cette recherche journalistique, autour du débat sur cette décision juridique de la Cour Constitutionnelle dominicaine, si décriée et maintes fois dénoncée par un grand faisceau d’actrices et d’acteurs à tous les niveaux (national, binational, caribéen, continental et international).
Cette décision est qualifiée de « discriminatoire », « raciste », « anti-haïtienne » et violatoire des droits humains, dont le droit à la nationalité des Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne.
En premier lieu, l’étude met les projecteurs sur l’émergence d’un acteur décisif sur la scène médiatique et citoyenne : les réseaux sociaux et d’autres outils d’information et de communication virtuels en tant que vecteurs importants d’opinions et de messages autour de l’arrêt 168-13.
À partir d’un échantillonnage, composé de 383 messages, publiés entre le 23 septembre 2013 (date de publication officielle de l’arrêt susmentionné) et le 23 septembre 2014, choisis parmi 7 pages de Facebook, 4 comptes de Twitter et 3 blogs, et gérés par 11 usagères et usagers, la recherche parvient à montrer que les interfaces virtuels (Facebook, Twitter, par exemple) se sont constitués en un important lieu d’exercice d’une nouvelle forme de journalisme et de citoyenneté.
En second lieu, la recherche enrichit le débat sur la catégorie émergente de « journalisme citoyen », non seulement en dressant un état des lieux sur les différents courants théoriques et méthodologiques dans le champ de la communication (Université Catholique du Chili, Université de Málaga en Espagne, Université de Maimonide en Argentine et Université de Oxford au Royaume Uni), mais concrètement en recueillant, à travers un questionnaire, les opinions et appréciations des universitaires, très reconnus en République Dominicaine (toutes et tous, des communicatrices et communicateurs) dans le domaine de la communication, autour de la compréhension de cette catégorie émergente dans la praxis communicationnelle dans le pays.
Parmi ces universités, ayant fait l’objet de la recherche figurent : Universidad autónoma de Santo Domingo (Uasd), la Pontificia Universidad católica Madre y Maestra (Pucmm), Universidad católica Santo Domingo (Ucsd).
En troisième lieu, la recherche recueillit également les opinions et considérations de plusieurs journalistes et directeurs de médias, très connus dans le milieu dominicain, dont : Juan Bolívar Díaz, Fausto Rosario Adames, Edith Febles, Riamny Méndez, Amelia Deschamps et Panky Corcino.
Ces experts ont articulé des analyses très instructives sur la nature de ce nouveau phénomène (l’usage de plus en plus massif des Nouvelles technologies de l’information et de la communication / Ntic par des citoyennes et citoyens du commun des mortels pour produire, diffuser et créer de l’ « opinion publique ») et dans quelle mesure on peut le considérer, ou non, comme un exercice de journalisme.
En quatrième lieu, plus de 16 usagères et usagers des réseaux sociaux (y inclus celles et ceux, dont les messages ont été sélectionnés dans le cadre de la recherche) – ayant publié, de manière régulière, des messages, de nature critique, sur l’arrêt 168-13, ont été également interviewés sur le sens qu’ils donnent à leur « activisme virtuel ».
Ils ont répondu à des questions sur : la finalité et les motifs de l’usage, qu’ils font des réseaux sociaux et outils digitaux ; la manière, dont ils créent les contenus, et les sources d’où ils les puisent ; la nature (institutionnelle ou personnelle) des opinions exprimées ; la confirmation ou non de la véracité des informations publiées ; leur propre définition du concept/praxis de journalisme citoyen et si (comment) les réseaux sociaux permettent son exercice.
En dernier lieu, la recherche reconstruit l’exercice de journalisme citoyen, à travers des réseaux sociaux et blogs, depuis la publication officielle de l’arrêt, tout en confirmant comment cet exercice a permis d’aller au-delà de la simple diffusion de l’information, en vue de contribuer à la création des liens de solidarité (en particulier avec les victimes de cette décision juridique « injuste ») et à la transformation politique et sociale du pays.
La recherche a analysé des messages, véhiculés par des Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne, victimes de l’arrêt et aussi par des activistes de droits humains, des journalistes alternatifs et d’autres citoyennes et citoyens sensibles à la cause de ce groupe social historiquement exclu et affecté par le racisme structurel en République Dominicaine.
AlterPresse a réalisé cette interview avec le directeur de Espacio de comunicación insular, José Luis Soto, au sujet du livre et de la recherche qui le sous-tend. [wel rc apr 12/04/2016 0:00]
AlterPresse (Apr) : Quelle est la principale contribution de ce livre au débat médiatique sur l’arrêt 168-13 de la Cour constitutionnelle de la République Dominicaine ?
José Luis Soto (JLS) : Espacio de comunicación insular pratique un journalisme inclusif, démocratique et citoyen. Cette manière d’exercer la communication doit se centrer sur les citoyennes et citoyens ; pour ce, nous luttons pour que soit reconnu leur droit à informer et à être informés, à s’exprimer librement à travers les médias traditionnels et alternatifs et à utiliser les nouveaux outils de la communication et de l’information, tels que les réseaux sociaux, surtout dans le contexte de manque d’opportunités d’accès aux médias traditionnels en République Dominicaine.
En ce sens, à travers la publication de son nouveau livre intitulé Periodismo ciudadano y su ejercicio en la defensa de las personas afectadas por la Sentencia 168-13, Espacio de Comunicación Insular a lancé un grand débat sur la nécessité pour les universités dominicaines, en tant que centres de formation des professionnelles / professionnels en communication, d’inclure, dans son agenda académique, la thématique du droit à la communication et au débat citoyen. On projette également de travailler en profondeur sur cette question avec l’association des journalistes dominicains Colegio dominicano de periodistas.
Concernant l’arrêt 168-13 de la Cour constitutionnelle de la République Dominicaine, la recherche n’est pas tellement axée sur les questions de fond de cette décision juridique ; elle met, de préférence, les projecteurs sur l’exercice d’une citoyenneté active, qui a utilisé des outils de la communication non conventionnels (outils que ces citoyennes et citoyens ont sur la main), en vue de mettre en question cette décision, qui viole les droits humains d’un segment important de la population dominicaine.
En ce sens, le livre analyse comment les personnes, affectées par l’arrêt, ont utilisé ces outils face au manque d’espaces disponibles dans les médias traditionnels pour s’exprimer, parce que ces médias ont approuvé, à l’unanimité, cet arrêt de la Cour constitutionnelle.
Pour ce, l’un des objectifs de Espacio de comunicación insular est de travailler en vue de la démocratisation des médias, de telle sorte qu’il y ait plus d’ouverture, de participation et d’équité envers tous les secteurs du pays. Que personne n’en soit exclu pour des motifs, liés à l’appartenance éthique, la religion et la préférence sexuelle.
Au fond, la recherche veut mettre en débat la mission des médias face à des thèmes si sensibles et fondamentaux, tels que les droits humains.
Apr : Dans quelle mesure le journalisme citoyen peut renouveler aussi bien le journalisme que l’exercice citoyen, tenant compte des résultats concrets apportés par la recherche ?
JLS : Peut-être ne s’agit-il pas tant de renouveler le journalisme traditionnel que de convertir le journalisme citoyen en une sorte de contrepoids, surtout face au manque d’engagement social affiché par ces médias.
Le fait que des citoyennes et citoyens commencent à s’exprimer, de plus en plus, à travers lire la suite sur alterpresse.org