Haïti – Environnement: Invasion d’algues sur les plages d’Haïti, fléau ou opportunité

Source radiotelevisioncaraibes.com

Jodany Fortuné Candidat doctoral dans les Laboratoires des Professeurs Dr Gary Gervais et Dr Clifford Louime à l’Universite de Porto Rico à San JuanJodany.Fortune@upr.edu

Depuis 2011, la plupart des pays de la Caraïbe ont déploré l’invasion de leurs plages par des algues brunes appelées « sargasses ». Haïti en est aussi victime. L’arrivée massive de ces algues poussées vers les côtes par les courants marins enlaidit les belles plages du pays, décourage les baigneurs et cause un impact sur les plans sanitaire, environnemental et touristique. Voyons de quoi il s’agit : d’où elles viennent, les causes de cette invasion soudaine, les risques pour les baigneurs, l’impact des algues ainsi que les opportunités éventuelles qui peuvent en découler.

Que sont ces algues Sargasses ?

Les algues rencontrées sont généralement de deux espèces, le Sargassum fluitans et le Sargassum natans. Ce sont des algues pélagiques, c’est-à-dire elles n’ont pas besoin d’être enracinées à la terre ni de s’accrocher au fond marin pour se multiplier ni croître. Elles sont constituées de tiges, de feuilles et de « flotteurs » qui leur permettent de rester à la surface de l’eau. Elles sont d’une couleur brune (jaune-marron) caractéristique. La couleur de ces algues peut passer du jaune-marron au marron foncé? quand elles sont séchées sur la plage.

 Ces algues sont originaires en grande partie de la région appelée la mer des Sargasses (du mot italien sargazzo qui signifie « varech » ou amas d’algues brunes). La mer des Sargasses est une région de l’océan Atlantique Nord, située entre les méridiens 70º et 40º W et les parallèles 25º et 35º N. C’est la seule mer au monde qui n’a pas de côtes terrestres. Ses limites sont constituées par quatre courants marins majeurs : la Dérive nord-atlantique au nord, le Gulf Stream à l’ouest, le Courant des Canaries à l’est, et le Courant nord-équatorial au sud. Sa superficie totale – bien que variable – est d’environ 3.5 millions de kilomètres carrés.

Zones d’accumulation et de croissance d’algues dans l’Atlantique y compris en Région de recirculation nord-équatoriale (Franks et al., 2014 ; Johnson et al., 2013)

Causes possibles de cette invasion dans la Caraïbe

Plusieurs hypothèses ont été évoquées pour expliquer ce phénomène. Une hypothèse propose la déviation du Gulf Stream vers le sud à cause des changements climatiques, favorisant l’arrivée massive des algues dans la Caraïbe.  L’hypothèse la plus plausible serait celle liée au changement dans la « région de recirculation nord-équatoriale » (NERR: North Equatorial Recirculation Region) et à un apport additionnel des nutriments venant des fleuves de l’Amazonie en rapport avec la déforestation. Cette région située entre le Brésil et l’Afrique de l’Ouest est renforcée à cause de l’augmentation en largeur de la Zone de convergence intertropicale (ZIC) ces dernières années. De nouvelles études utilisant l’imagerie par satellite ont montré la formation d’une petite « Mer des Sargasses » à l’est du Brésil avec une traînée d’algues arrivant jusqu’à l’arc antillais.

Risques pour la santé

Ces algues ne sont ni vénéneuses, ni allergènes. Toutefois, certains risques existent. D’abord, il n’est pas conseillé de se baigner dans les plages à forte concentration d’algues : cela peut induire un risque de noyade. Ensuite, la présence de radeaux d’algues dans la mer peut constituer des refuges pour certaines espèces marines qui peuvent causer des démangeaisons au contact avec la peau. Finalement, dans certaines conditions, la décomposition des algues sur les plages provoque la libération de sulfure d’hydrogène (H2S) à l’origine de « l’odeur d’œufs pourris ». Le H2S est détectable à une concentration de 0.05 ppm (un signal d’alerte de sa présence). Quand on atteint le seuil de 2 ppm, il est sage d’interdire l’accès aux plages pour le grand public. À très forte concentration (300 ppm), il entraîne la perte de conscience. Le ramassage d’algues fraîches ne représente aucun danger, mais les dépôts d’algues dégageant une odeur d’œufs pourris doivent être traités avec précaution par des professionnels équipés de masques pour se protéger des émanations de H2S.

Autres impacts de l’invasion des algues

Impact environnemental

A une certaine concentration, la présence des algues dans l’eau est très utile pour certaines espèces, car elles leur servent de nourriture et de refuge (poissons-lions, jeunes tortues marines, thons, carangues, poissons de sargasses camouflé, poissons-globes juvéniles…). Dans certaines conditions, la présence des algues sur les plages aide à lutter contre l’érosion marine. Mais, à forte concentration, elles ont des conséquences sur la flore et la faune marines situées à proximité des côtes. L’accumulation d’algues dans l’eau empêche aussi à la lumière du soleil de traverser la surface. Les organismes fixés ou peu mobiles sont les plus concernés. Par exemple, les herbiers et les coraux sont affectés par le manque de lumière indispensable à la photosynthèse. Sur les plages, les algues perturbent la ponte des tortues marines et du même coup rendent difficile, voire impossible, l’arrivée de bébés tortues sur le rivage. En plus de cela, la décomposition des algues conduit à l’altération de l’eau qui, par la suite, entraîne la mort de certaines espèces de poissons sensibles à une baisse d’oxygène.

Impact sur les activités touristiques

L’odeur nauséabonde causée par la décomposition de ces algues fait fuir les touristes. Ce fut le cas pour l’Hôtel Cyvadier à Jacmel. Beaucoup de visiteurs ont annulé leur séjour dans les pays affectés. Au Mexique (Cancun), le coût de nettoyage des plages envahies par des algues s’élève à près de USD 900 pour chaque mètre linéaire de littoral. Les autorités mexicaines ont prévu de dépenser environ USD 9.1 millions et d’embaucher 4 600 travailleurs temporaires pour enlever ces algues qui ont englouti les côtes caribéennes du Mexique. Face à ce constat, l’île de Tobago a même décrété l’état d’urgence pour catastrophe naturelle. L’envahissement des plages par ces algues a donc un coût significatif sur les rentrées touristiques des pays de la région.

Transformation du problème en opportunités

Affronter ce problème requiert de réduire les nuisances générées par ce phénomène, tout en mitigeant son impact économique. Une gestion rationnelle de l’invasion des algues peut s’articuler autour des points suivants :

– prévision de l’arrivée massive des algues en couplant l’imagerie satellite et les modèles de vents (courantologie);

– étude et construction de structures mécaniques de réduction des volumes d’algues qui parviennent jusqu’aux plages à exploitation touristique;

– mise en place de structures avec grande capacité de collecte des algues;

– élaboration de filières de valorisation des algues collectées.

Les sargasses ramassées peuvent être valorisées de différentes façons par la production de bioéthanol, médicaments, plastiques, floculants, alginates, biogaz, briquettes de biomasse, briquettes de charbon, fertilisants organiques, aliments pour animaux (ex : chèvres).

Les macroalgues peuvent être transformées, par fermentation anaérobique, en biogaz (constitué principalement de méthane et de gaz carbonique) qui est une source d’énergie.   Elles sont aussi une bonne source de biomasse pour la fabrication de briquettes de charbon. Les poudres de charbon obtenues après la pyrolyse des algues peuvent être mélangées dans des proportions de 40% à 50% à d’autres poudres de charbon pour fabriquer des briquettes de charbon, constituant une alternative au charbon de bois pour Haïti.

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