Haïti – Séisme : haro sur l’argent du désastre

Le 12 janvier 2010, un violent tremblement de terre dévastait Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, un des pays les plus pauvres de la planète. Le bilan est terrible : 230 000 morts, plus de 300 000 blessés, 1,5 million de sans-abri, plus d’eau ni d’électricité, une situation sanitaire catastrophique et des millions de mètres cubes de débris à évacuer.

Aussitôt, l’aide humanitaire d’urgence se met en marche avec les organisations non gouvernementales (ONG), épaulées par des experts internationaux de toutes sortes. Les Etats se mobilisent en envoyant sur place une aide militaire et alimentaire. Les banques mondiales promettent d’investir dans l’île 5 milliards de dollars immédiatement, puis 11 milliards sur cinq ans. Bill Clinton, l’ancien président des Etats-Unis, s’en porte garant en tant que coprésident de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), aux côtés de Jean-Max Bellerive, le premier ministre de l’île. Leur mission : superviser et coordonnerl’ensemble des projets de reconstruction.

« LE DERNIER ÉCHEC EN DATE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE »

Malheureusement, plus de trois ans après le séisme, le processus de reconstruction est complètement en panne. La majorité de la population haïtienne est toujours sans abri ; le camp Corail, le plus grand bidonville de Port-au-Prince, est passé de 7 000 personnes à 200 000 squatteurs ; l’aide financière promise n’a pas été totalement versée ; et, surtout, les Haïtiens, qui restent les meilleurs connaisseurs du terrain, ont été marginalisés au profit de grandes entreprises dont les intérêts financiers et le calendrier sont souvent peu compatibles avec l’aide humanitaire. « Haïti est le dernier échec en date de la communauté internationale, car la catastrophe n’est pas nécessairement l’événement lui-même, mais l’incapacité à y répondre », constate amèrement le réalisateur haïtien Raoul Peck, ancien ministre de la culture de la République de l’île entre 1996 et 1997 et auteur du documentaire Assistance mortelle diffusé sur Arte mardi 16 avril.

A travers une voix de femme (l’actrice Céline Sallette), qui raconte son désespoir face à un tel malheur, Raoul Peck livre un implacable réquisitoire factuel sur la mauvaise gestion de cette catastrophe, la désorganisation – voire la corruption – des grandes institutions internationales pour la reconstruction d’Haïti. Les témoignages et les images montrent un grand désordre humanitaire où chacun essaie de tirer la couverture à soi, à l’instar de Bill Clinton, qui sait se montrerdevant les caméras lorsqu’il se rend en Haïti, mais a refusé d’être questionné par Raoul Peck.

Filmé pendant deux ans par différentes équipes qui ont pu installer leurs caméras dans les lieux stratégiques de décision (gouvernement haïtien, antenne des Nations unies ou celles des ONG…), le document interpelle les responsables, montre les mécanismes complexes et les lourdeurs des administrations, les absurdités de certaines décisions, les blocages culturels, et donne la parole aux habitants qui, tant bien que mal, tentent de se reconstruire une vie.

A l’exemple du camp Corail, situé à une vingtaine de kilomètres de Port-au-Prince, où sont construits sans plan d’urbanisme ni perspectives de développement durable des baraques insalubres à la place de maisons en dur. « J’ai voulu filmerde l’intérieur cette machine à broyer, explique Raoul Peck. Les grands bailleurs, les Etats, les institutions financières internationales, les ONG sont isolés dans leur bulle, loin des Haïtiens. Ils sont tous dans des logiques différentes, voire opposées, sans communication ni coordination entre eux. On est dans l’approximation totale », poursuit-il.

LE RETOUR SURRÉALISTE DE « BABY DOC »

Sur place, chacun travaille donc pour soi , au grand désespoir des volontaires de l’aide humanitaire qui, impuissants, doivent faire face à l’inertie des Etats dont les représentants ne veulent pas que l’on se mêle de leur gestion des fonds. « Dans le business de l’humanitaire, chacun plante son drapeau. La dictature de l’aide est violente et arbitraire », souligne Raoul Peck, dans son commentaire. Ainsi, alors que c’est une priorité pour la reconstruction, l’évacuation des 25 millions de mètres cubes de gravats n’est pas planifiée et surtout sans financement. « Lorsque les Etats-Unis annoncent donner 2,5 milliards de dollars, il faut refaire le calcul », tempère Raoul Peck. « Les grandes banques prélèvent déjà 8 % de cette somme pour leurs frais de gestion, et 800 millions de dollars servent à payer les dépenses des 20 000 militaires que personne n’a appelés ! », poursuit-il.

Proche du personnel politique de l’île, Raoul Peck a également filmé les secousses de la campagne électorale. Lors d’un meeting, on y voit le retour surréaliste et révérencieux de Jean-Claude Duvalier, le « Baby doc » pilleur de l’île et trafiquant de drogue exilé en France qui, avec ses « tontons macoutes », a fait régner la terreur et semé la mort en Haïti de 1971 à 1986.

Abrupt et loin de tout montage esthétisant, le film de Raoul Peck est guidé par la volonté du réalisateur de porter témoignage et de renvoyer les puissants à leurs responsabilités. « Avec ses 27 000 kilomètres carrés et ses 10 millions d’habitants, Haïti est une ville à l’échelle de la planète, explique le premier ministre, Jean-Max Bellerive. Nous avons eu à notre chevet les banques, les Etats et toutes les structures de coopération, et ils n’ont pas réussi à nous aider. Si cette communauté internationale continue à échouer, qu’est-ce qu’ils vont pouvoirrésoudre ailleurs ? » 

« Assistance mortelle », mardi 16 avril à 20 h 45 sur Arte. (http://www.lemonde.fr/)

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