Haïti-Intégrité territoriale : A quand la récupération de l’île de la Navase ?

A fortiori, il peut paraitre audacieux de parler de l’intégrité territoriale d’Haïti tant sa souveraineté est aujourd’hui très limitée. Mais osons-nous réclamer au nom de l’uti possidetis juris (ou principe de l’intangibilité des frontières) la récupération de l’île de la Navase, ce joyau écologique et stratégique occupé illégalement par les Etats-Unis d’Amérique depuis 1857 !

Les Etats-Unis occupent de facto l’île depuis 1857, mais elle appartient de jure à Haïti. Cette occupation est en contradiction flagrante non seulement avec le principe de l’intangibilité des frontières* reconnu en droit international, mais aussi avec les clauses du « Guano Islands Act » adopté par le congrès américain en 1856.

Coup d’œil rétrospectif et réflexif sur l’île de la Navase

Dès son indépendance en 1804, Haïti revendique cette île inhabitée, d’environ 5 km², en vertu du traité de Ryswick de 1697 qui départagea l’île d’Hispaniola et ses dépendances entre la France et l’Espagne. Ensuite, la France céda officiellement en 1825 ses droits à Haïti, en reconnaissant son indépendance. Depuis, elle a été inscrite dans pratiquement toutes les constitutions haïtiennes. L’île de la Navase est nommément mentionnée dans les articles 2 et 8, respectivement dans les constitutions haïtiennes (1874 et 1987) parmi les îles adjacentes reconnues comme faisant partie intégrante du territoire national (1). Donc conformément aux constitutions d’Haïti, elle relève de la souveraineté haïtienne. Nonobstant, les Etats-Unis ont fait mainmise sur l’île en 1857 au regard du « Guano Act », une loi adoptée par le Congrès américain en 1856, permettant de déclarer possession américaine toute île inhabitée riche en déjections d’oiseaux marins qui pourraient être utilisées comme engrais et/ou pour la fabrication de poudre à fusil. Ils ont placé la Navase sous leur juridiction de manière arbitraire sans prendre en compte le principe de l’intangibilité des frontières et en violation des clauses du Guano Act lui-même qui précisait que « les USA se déclarent propriétaire de tout île, rocher ou ilot sur lequel un citoyen américain découvrirait du Guano pourvu que ce territoire ne soit pas déjà sous la souveraineté d’un autre Etat, » (2) alors que l’ile était déjà sous la souveraineté de l’Etat haïtien. On voit bien que les Etats-Unis ont pris possession de cette île manu militari, en dépit de maintes contestations d’Haïti.
Ce conflit qui date de 1857 va ressurgir avec force pour une énième fois, en 1998, suite à une déclaration de l’ambassadeur américain d’alors accrédité en Haïti, Timothy M. Carney, rappelant que l’île de la Navase demeure un territoire sous la souveraineté des Etats-Unis en vertu du Guano Act. Cette déclaration n’a fait que remettre en question la souveraineté d’Haïti sur cette ile, voire l’indépendance du pays dans son ensemble, car accepter de céder une partie du territoire, petite qu’elle soit, c’est hypothéquer l’indépendance du pays. De nos jours, malgré le silence, le conflit demeure entre les deux Etats. Toutefois, plus d’un est sceptique quant à une éventuelle récupération de l’île par l’Etat haïtien par rapport aux inégalités existantes entre les deux acteurs en présence.

Située en mer des Caraïbes, à 60 km au large du cap des Irois sur la pointe ouest et à 40 km de Jérémie, au sud-ouest d’Haïti, cette île se trouve dans l’ensemble entre Cuba, Haïti et la Jamaïque. Donc elle est située dans une position stratégique à 160 km au sud de la Base Navale américaine « Guantanamo » et dans le chemin entre Haïti et Jamaïque. L’ile est inhabitée mais elle est avant tout une réserve écologique. Vu son importance économique et stratégique, cette île appartenant à Haïti dès le commencement est très disputée, car elle est à la fois revendiquée par Cuba, les Etats-Unis et Haïti, et l’était même dans le temps par la Grande-Bretagne. Mais en fin de compte, il est de nos jours de façon illégitime la propriété des Etats-Unis d’Amérique(3). A la lumière des richesses naturelles de cette île et son positionnement géographique, on peut faire une conclusion avant la lettre en déduisant que les enjeux sont d’ordres matériels et stratégiques. De prime abord, l’engrais était le principal enjeu après qu’un capitaine américain, Peter Ducan, eut découvert en 1856 que les excréments d’oiseaux sur l’île produisaient un engrais d’une qualité inégalable. Un mélange de nitrate et de phosphate qui constitua aussi vers la fin du 19e siècle une poudre utilisée dans l’armement. Avec le temps, cet engrais n’est plus considéré comme un enjeu car il n’est plus exploité. Toutefois, l’incroyable diversité de richesses biologiques de l’ile demeure la hantise des américains.

Limitant involontairement les explorations humaines par rapport à son difficile accès, vu que les falaises abruptes de ce récif de corail tombent directement dans la mer, la nature en elle-même a donc préservé l’écosystème de l’île, qui aurait peu changé depuis la découverte de l’ile d’Haïti par Christophe Colomb près de 500 ans après. Des centaines de nouvelles espèces végétales et animales ont été découvertes lors d’une expédition scientifique, organisée par un organisme américain « the Center for Marine Conservation ». En effet, la Navase recèle des fonds marins exceptionnels avec des variétés de poissons, scorpions et araignées qui ne sont pas connues nulle part ailleurs. Les scientifiques des expéditions américaines « Quest » en 1998 et 1999 ont publié les résultats suivants : « Découverte de 90 espèces de d’araignées dont 25 inconnues des scientifiques auparavant; Identification de 227 espèces de poissons dont cinq nouveaux spéciments; On y trouva également des espèces de végétaux propres à l’île (comme le palmier Pseudopheonix sargetti saonae) ainsi que deux espèces endémiques de lézards (Cyclura nigerrima et Leicocephlus erimitus) que l’on pensait disparues… ». Quant aux récifs de corail, « ils sont parmi les plus beaux qu’on puisse imaginer!», s’est exclamée Nina Young, chef de la mission marine américaine. (4) C’est une île aux merveilles, un trésor biologique, qui préserve encore la faune et la flore avec les vues les plus spectaculaires de toutes les eaux de l’Amérique.

Contrairement aux autres îles adjacentes de la république d’Haïti, la Navase n’était pas habitée car elle était restée comme une réserve naturelle d’Haïti en matière de poissons, d’oiseaux et de ressources naturelles pour Haïti. Considérée par les experts et les quelques rares visiteurs comme un joyau écologique, elle commence à être l’objet des convoitises des Etats-Unis à partir de 1856 avec la fameuse loi « Guano act ».L’île fut d’abord exploitée entre autres, pour son guano et son phosphore, mais avec l’ouverture du Canal de Panama, elle devint aussi un endroit stratégique pour les Etats-Unis d’Amérique par rapport à son positionnement géographique. Le Passage du Vent qui sépare l’ile de Cuba sert de flux commercial vers les USA et la région. Pour cette raison, les Etats-Unis construisirent en 1917 un phare de 46 m sur l’île. Il y avait trois personnes habitées sur l’ile pour contrôler ce phare avant son automatisation en 1929.Au-delà de cet aspect, vu son importance stratégique, la marine américaine avait créé un poste d’observation sur l’île pendant la Seconde Guerre mondiale. Située à 160 kilomètres de la base navale américaine « Guantanamo », elle servait également de position stratégique pour les Etats-Unis face à Cuba. A cet effet, la Navase représente un enjeu géostratégique majeur dans la dynamique américaine de garder toujours un œil sur Cuba comme étant un ennemi non négligeable surtout à l’époque de son rapprochement avec l’ex-Union soviétique (5).

Comme évoqué au préalable, le capitaine américain, Peter Ducan, demanda que l’île soit placée sous tutelle étasunienne après eut y découvert du guano en vertu du Guano Act adopté en 1856. Rappelons que, selon cette loi, toute île inhabitée contenant du guano (déjections d’oiseaux) était placée sous la souveraineté des Etats-Unis. Il a allégué la découverte de l’île le 1er juillet 1857 et sa prise de possession le 19 septembre de la même année de concert avec son agent, Edward K. Cooper. Ils y ont planté un drapeau américain. Entre 1865 et 1898, les importants gisements de guano de l’île ont été exploités commercialement. Le gouvernement haïtien d’alors n’était pas resté indifférent, il a protesté contre l’annexion américaine de l’île et a demandé la récupération de sa souveraineté car eu égard de la constitution haïtienne, un territoire haïtien est réputé l’être même s’il est inhabité. Un appel qui a été rejeté par les États-Unis (6).

Face à la menace américaine, l’empereur d’Haïti d’alors, Faustin Soulouque, répondit vigoureusement en envoyant en avril 1858 deux vaisseaux de guerre ayant pour instruction d’expulser les colonisateurs par la force. Ils informèrent les exploitants de la mine Navase Phosphate co., des objections haïtiennes par rapport à la revendication américaine. Cooper se tourna immédiatement vers son gouvernement; et les Etats-Unis avertirent alors l’Empire d’Haïti, de leur volonté de défendre leurs ressortissants. Par la suite, ils ordonnèrent à l’équipage de la frégate « Saratoga » de se diriger vers l’ile. Des pourparlers débutèrent donc entre les deux gouvernements. Le gouvernement Haïtien par l’entremise de son agent commercial aux Etats-Unis, B. C Clark de Boston, défendit son droit de propriété sur l’ile en arguant qu’elle appartenait à l’Espagne qui la céda, à la suite du traité de Ryswick à la France. Les territoires cédés à la suite de ce traité devinrent libres sous le nom d’Haïti. La réponse du gouvernement américain émana de John Appleton, alors assistant-secrétaire au Département d’Etat. Dans sa lettre du 17 novembre 1858, il écrivit que l’ile n’avait jamais été colonisée par les Espagnols et les Français, ou habitée plus tard, par les Haïtiens. En fait, elle était totalement déserte quand Duncan en prit possession. Il conclut toutefois sa lettre en disant que l’acte de possession ne fait pas de la Navase une propriété permanente des Etats-Unis. L’exploitation du Guano continua, pendant les pourparlers, par la « Navassa Phosphate Company » (7).

En 1872, Haïti essaya à nouveau de revendiquer ses droits de propriété sur l’ile. Malheureusement, elle reçût un refus formel du secrétaire d’Etat américain à l’époque, Hamilton Fish. Il y a eu une nouvelle tentative de récupération de l’île par le gouvernement haïtien en 1989, en dépêchant sur place une équipe de radioamateurs avec un hélicoptère de l’armée. Les soldats haïtiens plantèrent un drapeau haïtien dans le sol avec une inscription faisant mention de la souveraineté haïtienne. Ils émirent des messages radio depuis « Radio Navase Libre » pendant quelques heures sans y rester vraiment. Malgré diverses tentatives de récupération de l’île, elle reste sous l’emprise américaine. Avec le système GPS, la présence des gardes côtes étasuniens n’est plus obligatoire. Depuis le 16 janvier 1997, ceux-ci remirent l’île entre les mains du département de l’Intérieur américain (8). En 2008, l’ancien ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Alexis/Préval, Fritz Longchamp, fut l’un des derniers membres de haut niveau d’un gouvernement à en faire mention, répondant à l’ambassadeur Timothy Carney qui avait déclaré « que l’ile de la Navase est sous la souveraineté américaine » et qu’en dépit du fait qu’Haïti la réclamait, en relatant les faits historiques.Pour l’Etat haitien, l’ile de la Navase « fait partie du territoire national » (9). Soulignons aussi, qu’en 2010, l’ex-Premier Ministre haïtien, Jean Max Bellerive, a nommé la Navase comme territoire intégral d’Haïti, ne serait-ce que pour rappeler la souveraineté légale du gouvernement haïtien sur l’ile.

« La raison du plus fort est toujours la meilleure », comme disait Jean de la Fontaine dans le loup et l’agneau. La force prend toujours le dessus. En se capitalisant sur leurs forces, les forts dominent les faibles. A cet effet, le rapport de force est loin d’etre favorable à Haiti. Cependant, malgré que ce conflit mette en présence un Etat fort face à un Etat faible et que tout laisserait croire que les dés sont jetés, le jeu n’est pas définitivement fait dans la mesure où la force des représentations sur la scène mondiale a toujours sa place. Aujourd’hui, quoi que l’on puisse penser, les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ont encore toute son importance. Si en géopolitique les forts utilisent la force (militaire, économique, diplomatique) pour contraindre leurs vis-à-vis, les faibles, au nom des droits de l’homme, peuvent faire usage de la loi et de la mobilisation de la société civile et de la communauté internationale. Aussi, il faut garder à l’esprit l’idée qu’avec l’arrivée d’un régime soucieux de l’intégrité téritoriale à la tête du pays, l’Etat pourrait déclencher une grande mobilisation avec l’appui de ces secteurs en vue de reprendre possession de cette réserve écologique tant convoitée. Par rapport à sa situation économique, sociale et environnementale, le pays serait heureux mais surtout soulagé par un tel dénouvement.

Références

*Le principe de l’intangibilité des frontières vise avant tout à assurer le respect des limites territoriales d’un État au moment de son indépendance. » ( Extrait de l’arret rendu en date du 22 décembre 1986/ Affaire differend frontalier : Burkina Faso et République du Mali par la CIJ)

1-Art 8 de la constitution de la constitution haïtienne de 1987: Le territoire de la République d’Haïti comprend: a) La partie Occidentale de l’Ile d’Haïti ainsi que les Iles adjacentes: la Gonâve, La Tortue, l’Ile à Vache, les Cayenites, La Navase, La Grande Caye et les autres îles de la Mer Territoriale;).

2-http://unesdoc.unesco.org/images/0011/001142/114252f.pdf

3 : http://www.alliance-haiti.com/societe/ville/ile-navase.htm

4 : http://www.caraibeexpress.com/archives/annee-2008/article/ile-de-la-navase

5: Brown, Richard J. Animal disease survey of Navassa Island, West Indies. Pensacola, Fla., Naval AerospaceMedical Research Laboratory, 1973)

6: U.S. Insular Areas: Application of the U.S. Constitution: Report to the Chairman,Committee on Resources,House of Representatives. Écrit par United States Général Accounting Office, United States Congress. HouseCommittee on Resources. Publié par DIANE Publishing, 1997. ISBN 1-4289-7935-2, 9781428979352)

7:http://bbs.keyhole.com/ubb/ubbthreads.php?ubb=showflat&Number=1258808&site_id=1#import)

8: http://www.alliance-haiti.com/societe/ville/ile-navase.htm

9 : Idem

10 : Claval P., (1994), Géopolitique et géostratégie, Paris, Nathan, p. 6.)

Source:BOnzouti.com

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