Vivre dans un camp de déplacés à l’OPC
C’est dans une rue non loin des locaux de l’OPC que Renée passe ses journées, loin de sa maison à Solino, passée sous les flammes des bandits pyromanes qui ont envahi la zone où elle a vécu pendant 21 ans. Vêtue d’une robe bleu marine, assise sur un drap dans une rue à proximité de l’OPC servant à la fois de décharge d’immondices et de douche improvisée pour certains, c’est là que nous rencontrons Renée ce vendredi 29 novembre. Nous prenons place à ses côtés, assis à même le sol et elle nous immisce dans sa vie.
Quand elle évoque son enfance, sa voix s’étouffe comme si elle ne voulait pas parler de cette partie de sa vie. Pourtant à Solino, Renée a eu une vie ordinaire comme beaucoup d’autres enfants de sa génération. Puis le 12 janvier 2010, après plusieurs jours sous les décombres de sa maison effondrée, elle y est extraite, en vie, mais avec les deux pieds fracturés. Après de nombreux jours à essayer de trouver une solution, les médecins n’y sont pas parvenus et lui amputent tour à tour ses deux pieds; elle n’avait que 7 ans.
« Depuis, j’ai enduré pas mal de situations assez difficiles. À l’école, j’ai dû affronter les railleries des autres élèves et de mon entourage également, mais j’ai tenu bon », raconte la jeune fille, qui est admise en Secondaire IV cette année.
Adolescente, sans pieds, elle se repose sur sa mère pour tout et sur un oncle maternel, qu’elle adopte depuis comme un second père. « Je n’ai pas de père, je n’ai que mon père », lâche-t-elle d’un ton sec, interrogée sur son paternel. Pourtant son père n’est pas mort mais l’abandonnera à ses 14 ans. Cette page de l’histoire de sa vie, elle ne l’évoquera pas longuement avec nous. On n’insistera pas non plus.
« Fuir : prendre son courage à deux pieds »
Renée a connu les beaux jours de son quartier. « J’étais à l’aise dans ma maison. Quand j’étais chez moi j’avais l’habitude de tout faire. Je m’occupais des tâches ménagères en usant de mes genoux. Avec les rares amies que j’avais, on allait à des cours de cosmétologie en week-end et le reste du temps je restais enfermée à la maison avec mes livres », conte-t-elle. Des livres qu’elle ne pouvait pas emporter dans sa fuite et qui sont perdus à tout jamais.
Membre de la chorale Saint Jean-Paul II de la paroisse Saint-Michel Archange de Sans-Fil, Renée ne ratait aucune célébration à l’église. Et puis vint la journée du 17 octobre, jour où elle a du fuir sa maison sans penser que les événements qui suivront l’emmèneront loin de son quartier et de la vie qu’elle a toujours vécue jusqu’ici.
« Le 17 octobre, nous avons fui notre demeure et avons trouvé refuge chez des amis à Platon Charles, toujours à Solino. En raison de l’avancée des bandits peu de temps après, nous nous sommes réfugiés chez d’autres amis à Nazon, avant d’être contraints de fuir, cette fois, sans destination avant de nous réfugier à l’OPC », explique Renée, l’air abattu et triste.
Partir de Solino, pour Renée n’est pas seulement la perte de son confort, c’est aussi et surtout le risque de voir son rêve le plus cher s’effacer. « Je compte devenir comptable ou infirmière », confie-t-elle, animée d’une joie soudaine. Comptable, car elle a été inspirée par un enseignant qui l’encourage toujours à se surpasser. Infirmière, comme plan de secours si jamais elle ne peut faire carrière en comptabilité. Sa source de motivation ? « J’espère y arriver pour pouvoir aider ma mère qui m’a tout donné », dit-elle.
Quoi qu’il en soit, pour arriver à ce rêve, il va falloir terminer les études classiques et entrer à l’université. Un rêve qui semble lointain, car depuis le début de l’année scolaire, Renée n’a assisté à aucun cours.
Vivre à l’OPC, le calvaire
À l’OPC, le quotidien de Renée comme de tous ceux qui vivent dans cet espace n’est pas un long fleuve tranquille. « Nous dormons dans le plus grand inconfort, sans aucune assistance », se plaint-elle, soulignant que les nuits au cours desquelles il pleut, dormir n’est pas possible. Outre les pluies, Renée n’est pas la plus sereine en vivant à l’OPC.
« Le 19 novembre dernier, nous avons entendu des tirs et j’avais très peur. Je me suis dit après avoir fui Solino, vais-je devoir fuir à nouveau ? », rapporte-t-elle.
L’accès à l’eau représente également un problème majeur. Si l’eau est régulièrement livrée, plusieurs sources indiquent au journal que la gestion faite par les membres du comité du camp pose problème, dénonçant même des cas de favoritisme au profit de leurs proches.
Quant à Renée, elle passe ses journées à se divertir sur internet pour essayer d’oublier ce calvaire. Son Smartphone, sa batterie de secours et ses écouteurs sont toujours à portée de main. Et en cas de problème, elle peut toujours compter sur sa mère qui est toujours près d’elle pour l’épauler.
Pour se nourrir, ou pour se procurer d’autres articles, Renée compte sur l’aide de quelques visiteurs qui feront des dons à sa mère. Cette dernière, ancienne commerçante, aujourd’hui n’a pas les moyens de remettre son commerce à flot ni ne peut laisser son unique fille seule. Les jours où les visiteurs ne manifestent pas leur charité à leurs égards, à Renée et sa mère, elle se résignent à se nourrir des « Biden », surnom peu commode servant à désigner dans les camps les repas chauds distribués par les organisations gouvernementales et non gouvernementales. Le nom du président américain Joe Biden sert à tout.
Plus que se nourrir au quotidien, Renée espère mieux. Pour se déplacer, elle utilise des prothèses qui sont devenues trop petites. « Lors des turbulences j’ai fait une chute et je me suis fait mal à un genou. La plaie tarde à guérir. Porter les prothèses est très difficile car elles sont trop petites », témoigne Renée. Aujourd’hui, elle utilise des béquilles à défaut d’utiliser les mêmes prothèses qu’elle porte depuis quatre ans. Aussi Renée appelle-t-elle les autorités et les personnes de bonne volonté à se pencher sur son sort. « M’aider à avoir de nouvelles prothèses et à me reloger, ce sont mes besoins les plus urgents », déclare Renée.
Le camp logé à l’OPC abrite beaucoup de personnes à mobilité réduite comme Renée. Ces personnes-là ne bénéficient pas d’assistance particulière. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), entre le 11 et le 20 novembre 2024, 40 965 personnes se sont déplacées suite aux violences armées. Selon l’organisation Save the children, au 27 novembre, 21 000 enfants ont été contraints de fuir leur domicile, plusieurs d’entre eux, note l’organisation, ont été forcés de se déplacer à plusieurs reprises au cours des deux dernières années.
Source: Le Nouveliste