Merisena Cadeau : de Cité Soleil à l’Olympiade d’échecs en Inde

En novembre 2019, après la mort de Ti Ougan, chef de gang du quartier Boston, des affrontements ont éclaté à Cité Soleil, l’un des plus grands bidonvilles de la région métropolitaine de Port-au-Prince. La vie de beaucoup de familles a basculé ce jour-là. A « Nan Kanibal », un quartier de cité Lumière, non loin d’un canal infesté de moustiques, les six enfants du couple Cadeau vivent le conflit dans une petite pièce, leur maison.

« J’ai vécu ce que vivent aujourd’hui tant de familles de Cité Soleil. J’avais treize ans à l’époque », se remémore Merisena Cadeau qui pose un qualificatif sur cette expérience : « terrible ». Merisena Cadeau, ses trois grands frères et deux petites sœurs ont vécu une nuit ponctuée de rafales d’armes automatiques. « A l’aube, ils sont rentrés chez-nous. J’ai vu la mort en face », témoigne Merisena Cadeau. Les enfants Cadeau ont survécu. Un peu par miracle.

Après ce cadeau, l’aîné des trois frères décide de ne pas tenter la providence, de partir de « Nan Kanibal ». L’incertitude liée à tout déracinement est de lot de ces enfants dont Merisena, brillante à l’école et  douée aux échecs, qu’elle avait découverts grâce à Sakala (Sant Kominotè Pou yon Altènatif ki ka mennen lan Lapè). Pour l’équipe de Sakala, il n’était pas question de tirer un trait sur le potentiel de cette jeune fille, de cette joueuse d’échecs. Merisena Cadeau reste à Port-au-Prince. Elle est accueillie par son coach Conze Lesly Killick qui obtient l’appui de Philippe Victor Chatelain pour scolariser Merisena Cadeau.

« La première fois que je l’ai vu, elle était toute petite. Son sourire était étincelant. J’ai tout de suite senti qu’elle était spéciale cet enfant qui, par la suite, avait reçu un prix à Sakala pour ses bonnes notes à l’école  », se souvient Daniel Tillias, CNN Heroes 2019, interrogé par Le Nouvelliste, jeudi 28 juillet 2022.

« Cet enfant est la preuve que si vous donnez une opportunité à un enfant qui vit dans des conditions précaires, à  Cité Soleil, cela peut faire une grande différence. Son parcours peut inspirer d’autres enfants à rester sur la bonne voie », poursuit Tillias, fier de la décision prise avec Conze Lesly Killick d’héberger et d’encadrer Merisena Cadeau, 16 ans aujourd’hui, qui se trouve actuellement à Chennai, en Inde, avec la délégation haïtienne qui participe au 44e Olympiade d’échecs.

« La délégation a dix joueurs. Cinq femmes et cinq hommes. Merisena est la troisième joueuse nationale, catégorie femme. Elle a commencé la compétition ce vendredi 29 juillet. Haïti affronte la Grèce. Il y a des matches jusqu’au 11 août », confie au Nouvelliste Conze Lesly Killick, coach, manager de programmes à Sakala, qui a passé le relais de la formation de Merisena Cadeau à Jacques Muller Luxama, directeur technique de la fédération.

« Je suis prête à représenter le pays », indique Merisena Cadeau dans une courte vidéo partagée avec le journal par Killick qui est en Inde avec la délégation. « La compétition a commencé. J’ai perdu le match d’aujourd’hui face à la Grèce. Mais je reste confiante. Il y a dix autres matchs à disputer », confie à Le Nouvelliste, Merisena Cadeau, vendredi, en fin d’après-midi.

Avant d’arriver à Chinnai, Merisena Cadeau et les autres membres de l’équipe se sont préparés pendant six jours à Paris, dans la maison de Tunisie, à la cité universitaire internationale,  explique Conze Lesly Killick qui continue d’œuvrer au côté de Daniel Tillias à Sakala, « à chercher des opportunités, des alternatives pour des jeunes de Cité Soleil ». « Un enfant de Cité Soleil peut avoir de grandes aspirations, de grands rêves », soutient Daniel Tillias.

« Le modèle que je vois en Merisena me porte à croire que le travail de Sakala n’est pas vain, à un moment où je suis un peu découragé par ce que je vois à Cité Soleil », indique Daniel Tillias qui a grandi à Cité Soleil où près de 500 personnes ont été tuées, blessées ou portées disparues, début juillet, dans de nouvelles confrontations entre gangs armés.

« Un rêve, tout est possible. C’est l’une des devises de SAKALA », poursuit-il avant d’évoquer les programmes du centre. « Nous avons perdu tant de personnes, tant d’enfants qui auraient pu incarner l’espoir de ce pays », regrette Daniel Tillias qui s’insurge contre « ces grimaces », « ces conflits armés fratricides, aux motifs incompréhensibles».

L’appel de Merisena

« Il n’est pas trop tard pour changer », croit Merisena Cadeau qui appelle à la fin des conflits armés à Cité Soleil, « à une prise de conscience ». « Les enfants ne jouent plus. Ils sont cloitrés, chez-eux, craignant d’être fauchés par une balle », indique l’adolescente. Il y a des potentiels dans chaque enfant qui vit aujourd’hui à Cité Soleil, rappelle Merisena Cadeau qui a toujours rêvé d’aller loin, qui veut être une source d’inspiration.

 

 

Source: Le Nouveliste

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