Pour un meilleur impact des groupes haïtiens aux grands festivals de Montréal

Source Thomas Lalime – Des Idées pour le Développement | Le Nouvelliste

J’ai assisté, au début du mois de juillet 2010, à la prestation de l’Orchestre Septentrional au Festival international de jazz de Montréal. La boule de feu internationale avait fait vibrer les fans du compas direct, particulièrement les compatriotes nostalgiques du bon vieux temps. De par son harmonisation habituelle, l’orchestre détenteur du record de longévité sur la scène musicale haïtienne régalait aussi les plus jeunes. Tout le monde essayait d’esquisser des pas de danse sur la Place des arts de Montréal. Des étrangers sympathiques à la culture haïtienne ou à la conquête de nouvelles aventures musicales en profitaient allègrement.

J’ai assisté le 1er juillet 2016 à la performance de l’Orchestre Tropicana au même festival. Plus rien à dire sur la fusée d’or internationale : c’est un patrimoine national. L’orchestre a été honoré la veille par le maire de Montréal, Denis Coderre, à l’hôtel de ville de Montréal. M. Coderre a fait le déplacement à plusieurs reprises pour danser le Compas Roussi. Les Haïtiens de Montréal et des zones environnantes ne pouvaient donc pas raté ce grand rendez-vous gratuit, en plein air.

Le Festival de jazz de Montréal (1) est consacré par le Guinness World Records comme le festival de jazz le plus important de la planète. «Tout est possible au Festival de Jazz de Montréal, considéré à juste titre comme étant le plus grand au monde, mettant en vedette des virtuoses, des vétérans, des légendes vivantes et des jeunes découvertes », a écrit Paolo Cervone du Corriere della Sera.

 « L’été, la capitale mondiale du jazz est Montréal, où le jazz est respecté et populaire comme nulle part ailleurs », a renchéri Michel Contat de Télérama.fr. « La métropole francophone d’Amérique devient chaque année, pendant une dizaine de jours, le lieu de rendez-vous des amateurs de toutes les musiques liées au jazz », témoigne, pour sa part, Laurence Aloir de Radio France Internationale.

Selon les organisateurs, le Festival de jazz recense chaque année, depuis plus de 30 ans, la présence de près de 30 pays, 3 000 musiciens et amuseurs publics, 1000 concerts, activités et animations – dont les 2/3 gratuits, une quinzaine de scènes intérieures et une dizaine extérieures. Il reçoit annuellement plus de 2 millions de visites.

J’ai aussi assisté  à la performance de Boukman Eksperyans  le 14 juin 2015 aux FrancoFolies de Montréal. La bande à Théodore Lòlò Beaubrun et Mimerose Manzè Beaubrun est plus qu’un groupe musical. C’est le symbole de tout un courant musical qui a conquis sa place dans le ciel musical, en Haïti comme à l’étranger. Indépendamment de sa confession religieuse, on ne peut se permettre de ne pas apprécier l’œuvre de Boukman Eksperyans. Tout comme celle de feu Lenor Fortuné dit Azor. Boukman Eksperyans a eu l’honneur de  performer sur la scène principale des FrancoFolies.

Depuis 1989, les FrancoFolies de Montréal (2) représentent «le véritable miroir d’une musique francophone pétante de santé» pour reprendre les propos d’un journaliste de Radio France internationale (RFI) sur ledit festival. Chaque année, elles réalisent à Montréal quelque 70 spectacles en salles et 180 concerts gratuits sur 7 scènes extérieures. Près d’un million de spectateurs, environ 1 000 artistes provenant d’une douzaine de pays y prennent part annuellement. Pour le journal français L’Humanité : « Les FrancoFolies montréalaises sont un vaste incubateur de talents.»

J’ai assisté, le 16 juillet dernier, au spectacle offert par le Tabou Combo au Métropolis dans le cadre de la 30e édition du Festival international Nuits d’Afrique (3). Le journal montréalais La Presse avait indiqué en 2014 que le «Tabou Combo est à Haïti ce que Los Van Van est à Cuba ou Kassav à la Guadeloupe/Martinique». En 2014, la bande à Roger M. Eugène dit Shoubou avait réuni plus de 25 000 personnes sur la grande scène extérieure à l’occasion de la clôture du 28e Festival international Nuits d’Afrique. Depuis 1987, les éditions de ce festival rassemblent annuellement un large éventail de musiciens originaires de l’Afrique, des Antilles et de l’Amérique latine.

J’ai également assisté, le 4 juillet 2014, aux prestations de Jean Jean Roosevelt, médaille d’or des Jeux de la Francophonie 2013 dans la catégorie chanson, au Festival international de jazz de Montréal. Une très bonne prestation qui avait bien plu aux étrangers de l’assistance. Et j’ai suivi Jean Belony Murat dit Belo sur scène dans le cadre de ces mêmes événements musicaux. Le lauréat du Prix Découvertes RFI 2006 avait livré une prestation très appropriée en la circonstance et très applaudie par le public. Ces deux spectacles étaient plus enclins à satisfaire les étrangers de l’assistance, nonobstant les prétendues barrières linguistiques. Preuve que la musique est un langage universel, entrainant et puissant.

Ils peuvent faire mieux

À chacune de mes participations à ces prestations, je repars avec le sentiment que les groupes musicaux haïtiens pouvaient faire beaucoup mieux. Et que ces prestations ne devraient pas être identiques aux soirées habituelles où ces groupes jouent pour un public local qui vient uniquement pour danser. Le choix des morceaux devait plutôt s’inscrire dans une thématique globale conçue pour mieux vendre la culture haïtienne à ce large public disposé à faire des découvertes. En une heure ou deux, on pouvait penser un spectacle en vue d’émerveiller l’assistance, particulièrement les étrangers. La presse internationale en profiterait pour parler d’Haïti autrement. Comme nous le souhaitons tous, ardemment.

En ce sens, la participation d’un groupe musical à des festivals de si grande envergure devrait constituer une entreprise nationale impliquant le secteur privé et le gouvernement haïtiens. Le ministère de la Culture pourrait, par exemple, mettre un chorégraphe et un metteur en scène professionnels à la disposition des groupes ou des artistes invités. Ils pourraient s’inspirer du répertoire du groupe pour construire une chorégraphie de standard international susceptible de mieux vendre la culture haïtienne aux spectateurs et à la presse internationale.

L’État haïtien, à travers le ministère de la Culture, pourrait sélectionner, via concours, une compagnie de danse locale pour exécuter la chorégraphie. Un ami metteur en scène m’a fait remarquer que ces mêmes considérations sont valables également pour les troupes de danse qui représentent Haïti dans un festival. Une façon pour lui de mettre l’emphase sur la nécessité d’avoir une politique culturelle englobant toutes ses composantes.

La participation des groupes musicaux haïtiens à ces festivals représente une vitrine rare pour la promotion de la culture haïtienne et du tourisme en Haïti. Le ministère du Tourisme devrait donc en profiter pour vendre une autre image d’Haïti. Le tourisme international est avant tout une question d’image et d’attraction. Et la culture haïtienne, particulièrement la musique et la danse, demeure des vecteurs d’attraction et de propagation par excellence.

Si les groupes musicaux produisent la musique, la stratégie de markéting et la mise en scène ne relèvent pas forcément de leurs compétences. Sur le plan local, nous pouvons nous contenter uniquement de la musique. D’ailleurs, à une certaine heure, dans les soirées dansantes haïtiennes, on danse dans l’obscurité. On réclame assez souvent d’éteindre les lumières. Comme si la danse était plus un prétexte à autre chose qu’un art. Cela voudrait dire que l’on ne vient pas assister à un spectacle. Aux festivals de Montréal, par contre, c’est l’inverse. Cela se passe en plein air. Au public, on retrouve des étrangers qui ne comprennent pas le créole. Qui ne savent pas non plus danser le compas. C’est donc sans surprise que parfois, ils ne restent pas jusqu’à la fin. Une bonne chorégraphie devait capter ce public et attirer les projecteurs des médias.

Que vaut pour un Québécois de regarder l’Orchestre Tropicana interpréter « Gason total » s’il n’est pas accompagné d’une bonne chorégraphie? La même question se pose pour « Nennenn » qui pourtant aurait pu être auréolée d’une danse folklorique. La sélection des morceaux à exécuter nécessite déjà une réflexion approfondie répondant à la question suivante:

Quelles sont les chansons susceptibles de capter un plus large public étranger?

Les groupes musicaux doivent penser aussi à des collaborations spéciales pour leurs prestations dans ces grands spectacles. Par exemple, un Boukman Eksperyans avec la participation de l’excellent chanteur Eddy François, du très talentueux guitariste Jimmy Jean Félix et du très fameux bassiste Jean-Daniel Beaubrun. Ce serait un vrai régal ! Le coût additionnel pourrait alors être supporté par les ministères de la Culture et du Tourisme.

Un orchestre Tropicana accompagné d’une icône de la musique haïtienne comme André Dadou Pasquet ou du célèbre guitariste Makarios Césaire ou de l’excellent Ralph Condé enchanterait bien des spectateurs. Malheureusement, la collaboration, la cohabitation et la coordination ne font pas vraiment partie de notre mentalité. Dans la politique comme dans la culture. Et cela nous empêche d’atteindre bien des sommets.

La tenue vestimentaire représente un autre domaine dans lequel Haïti pourrait capter ……lire la suite sur lenouvelliste.com

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