Léogâne : l’épicentre oublié
Pour les dix ans du séisme, une messe a été chantée en mémoire des victimes à Léogâne où se trouvait l’épicentre de la catastrophe. Après, les autorités locales ont fait le dépôt d’une gerbe de fleurs au Mémorial érigé en mémoire des disparus. En 10 ans, à part le côté dramatique de l’événement, plus d’un y a vu un prétexte favorable à un renouveau pour le pays. Léogâne, commune la plus touchée par le cataclysme, a vu l’aide internationale faire moins que ce qu’on espérait et l’État, très peu.
En 2020, ce qui frapperait en premier votre curiosité si vous n’étiez pas venu à Léogâne depuis quelque temps, c’est l’adoquinage de quasiment toutes les rues du centre-ville grâce à la coopération japonaise. « C’est la plus grande satisfaction qu’on puisse tirer de la période post-séisme. D’autant qu’un sérieux travail de drainage a été aussi réalisé. C’est le plus important. Le seul hic reste l’eau fraîche jadis utilisée pour se baigner et faire la lessive est maintenant éparpillée dans plusieurs points avec les eaux usées ou les eaux d’évacuation », reconnait l’ingénieur Jean Lionel Présumé. Toutefois l’ancien cadre du PNUD quelque temps durant la dernière décennie croit qu’on aurait pu mieux saisir l’opportunité qui s’était offerte à nous. « La communauté internationale a trop longtemps duré dans l’humanitaire à la recherche d’un redressement immédiat à Léogâne. Quand il fallait investir dans le durable, elle a malheureusement financé des ONG au lieu de réaliser elle-même ses promesses. C’est le cas du PNUD où je travaillais. De notre côté, l’administration communale n’avait pas dressé un plan en commun accord avec la communauté pour coordonner les actions. Il y a eu des initiatives citoyennes en ce sens. Mais la municipalité avait fait la sourde oreille », regrette Jean Lionel Présumé.
En contraste avec les routes construites, dans les principales rues du centre-ville, des maisons de particuliers détruites sont encore à terre. Pour certaines, les traces des décombres demeurent encore visibles, pour d’autres, le sol rasé attend encore les murs. C’est pareil pour des infrastructures publiques comme la mairie logée encore dans un abri de transition. Le parc Gérard Christophe dont le projet de construction a été interrompu. Le tribunal de paix a été transféré dans un espace de transition en attendant la construction d’un local dans la cour de l’auditorium qui traîne encore. Quant à l’église Sainte-Rose dont les prévisions voulaient la fin de la construction avant l’été de cette année, le chantier est pour le moment au point mort faute de financement.
Par contre, des infrastructures ont quand même vu le jour en majorité grâce à la coopération internationale. Dans le secteur éducatif, si l’école nationale des filles et celle des garçons au centre-ville sont encore dans des abris de transition, plusieurs établissements primaires publics ont été reconstruits dans des sections communales. Le lycée Anacaona et l’Ecole Sainte-Rose de Lima (chez les sœurs) sont debout grâce à la coopération espagnole. Louis Borno (Chez les Frères) a un nouveau local, financé par l’Organisation internationale de la migration (OIM) par l’entremise d’un ancien de l’établissement. Le local est considéré par plus d’un comme étant transitoire vu l’insatisfaction généralisée qu’il entraîne, surtout chez les anciens. L’on doit à la coopération canadienne la construction du commissariat principal et de deux sous-commissariats. Le Fonds d’assistance économique et social (FAES) a aussi sa marque dans la période de reconstruction avec la place publique et la Bibliothèque Marie Claire Heureuse.
Des débuts de bidonvilisation
Des périphéries de la ville ont été les premières options pour assouvir la forte demande en espace de construction. Mais l’envahissement s’est fait sans plan résidentiel, fait remarquer l’ingénieur-agronome Garry Alliance. « Cette forte demande en espace de construction d’abris de transition et de nouveaux logements a été catastrophique pour la superficie cultivable et des chemins agricoles. S’en est suivie une inadéquation entre la démographie et la superficie cultivée. Une cause d’insécurité alimentaire », ajoute M. Alliance. « L’extension de Chatuley par exemple qui est naturellement le premier prolongement de la ville requiert un gros plan de réaménagement avant qu’il ne soit trop tard », préconise Jean Lionel Présumé. En ce qui a trait aux villages qui se sont développés, aux quartiers communément appelés « cité » par la densité de leur population, les cas sont nombreux à Léogâne et se sont aggravés après 2010. Pour le moment, l’ingénieur Présumé n’y voit que des « débuts de bidonvilisation ». « C’est le cas des grandes cours qui ont été plutôt morcelées au lieu d’un grand projet d’urbanisme», avance Jean Lionel Présumé.
« Nous nous sommes tant bien que mal relevés », selon Jean Lionel Présumé. De son côté, Chenet Ulysse du groupe Medic Haïti préfère mettre en avant le gaspillage des fonds qui, selon lui, est à la base de ces faibles résultats obtenus à Léogâne en une décennie. Le numéro un de Medic Haïti, groupe actif dans l’aide humanitaire après le tremblement de terre à Léogâne, parle de complot de dilapidation des fonds destinés à reconstruire le pays, particulièrement Léogâne, la commune la plus touchée. « Nous devons poursuivre les coupables de ce crime financier », soutient Chenet Ulysse.
Source: Le Nouvelliste