Haïti/Économie-Autonomisation économique des femmes en Haïti : un défi à relever
En Haïti, comme dans beaucoup d’autres pays du monde, les femmes mènent une lutte quotidienne pour leur indépendance économique. Un combat difficile pour les organisations de femmes qui demandent des changements en leur faveur dans le fonctionnement de l’Etat. En quoi consiste l’autonomisation économique des femmes? Qu’exige-t-elle, et quelles sont les initiatives pour y parvenir en Haïti?
La femme est l’avenir de l’Homme », chantait, dans les années 60, le musicien gréco-français Georges Moustaki. Pourtant, pour les associations féministes en Haïti, le combat vers l’égalité des sexes est toujours d’actualité.
« Face aux difficultés économiques, face aux catastrophes naturelles, face aux violences dont elles sont encore trop souvent les victimes, elles font toujours preuve d’une force et d’une résistance hors du commun » a dit, dans son message délivré à l’occasion du 8 mars, Journée internationale de la femme, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti par intérim, Nigel Fisher.
Ainsi, celles qui représentent plus de la moitié de la population haïtienne, sont « l’une des principales richesses d’Haïti », et doivent être soutenues, être autonomes économiquement, pour « permettre de jouer pleinement le rôle central qui est le leur dans le développement durable d’Haïti », estime le Chef de la MINUSTAH.
Soutenues, comment et pourquoi ?
Selon Michel Ange Bontemps de la Section des droits de l’homme de la MINUSTAH, l’autonomisation consiste à pouvoir agir et décider seules, sans pressions externes. Pour lui, l’autonomisation de la femme est un corollaire de l’égalité des sexes.
En Haïti, les femmes occupent une place importante dans l’économie du pays. En effet, plus de 50 % d’entre elles exercent une activité économique, principalement dans le commerce, la vente, le transport, l’hôtellerie, les services communautaires et l’agriculture. Ce taux est le plus élevé de l’Amérique latine et les Caraïbes, selon les Nations Unies.
Mais nombre d’entre elles se cantonnent au secteur informel. Ce sont notamment celles que l’on appelle communément les ‘marchandes’, vendant sur les trottoirs et les marchés, des biens alimentaires et de première nécessité.
« C’est grâce à ce commerce que j’ai pu élever mes quatre enfants, les envoyer à l’école et les nourrir », explique l’une d’entre elles, assise entourée de ses paniers de fruits et de pain dans la commune de Carrefour, à Port-au-Prince.
Toutefois, même si Marie-Ange est fière de son commerce, elle reconnait que l’activité est peu sure, car très exposée. «J’ai été attaquée à deux reprises par des voleurs qui m’ont tout pris, alors je reste vigilante », confie-t-elle.
Une précarité qui peut se ressentir sur les bénéfices quotidiens, poursuit Yvetta, venue vendre des produits alimentaires dans la capitale après avoir abandonné l’école. Elle espère trouver un crédit pour faire fructifier son commerce. « Il y a des jours où ça ne rapporte pas beaucoup », explique-t-elle.
Contrairement à Yvetta, les femmes qui ont accès à l’éducation sont de plus en plus présentes dans les entreprises financières dont les coopératives, les caisses populaires, les banques et les organisations non gouvernementales, notamment dans le domaine humanitaire.
On les retrouve aussi dans « des fonctions de premier plan à tous les échelons de la société et des instances dirigeantes », se félicite Nigel Fisher, qui les encourage, toujours dans son message à l’occasion du 8 mars, à « continuer de donner l’impulsion nécessaire aux progrès dont Haïti a besoin ».
Malgré le fait qu’elles soient « le plus souvent victimes de disparités frappantes en ce qui concerne la rémunération », selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les femmes ne dirigent pas moins de 44 % des ménages haïtiens sur une population de 7.2 millions d’habitants.
Cependant, un rapport de 2008 sur l’application de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) stipule que quelque 60% de ces ménages monoparentaux vivent dans la pauvreté extrême avec moins de 2 dollars US par jour.
Des droits à divers niveaux longtemps méconnus
Les obstacles qui empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs différents droits, notamment économiques, sont d’ordre socioculturel, juridique et même structurel.
Selon Rose Esther Sincimat Fleurant, Directrice générale du ministère à la Condition féminine et aux droits des femmes (MCFDF), la société haïtienne patriarcale véhicule des stéréotypes négatifs, sources de discrimination à l’égard des femmes.
Un patriarcat qu’Olga Benoit, responsable de programmes à l’organisation féministe ‘Solidarité des Femmes Haïtiennes’ (SOFA) qualifie de « système oppresseur des femmes, qu’il faut combattre ».
Même si, selon l’UNICEF en Haïti, 70% des jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans savent lire et écrire, elles quittent l’école plus tôt que les garçons. En effet, les filles sont les premières à être sacrifiées si la famille n’est pas en mesure de payer la scolarisation de tous les enfants, dans un pays où 80% des écoles sont privées, donc payantes.
Une situation qui les pénalise pour trouver, plus tard, un emploi dans le secteur formel. Peu scolarisées, formées ou qualifiées, les femmes constituent ainsi une main d’œuvre bon marché et ne bénéficient pas de protection sociale pour elles-mêmes et leurs enfants.
Plusieurs initiatives pour améliorer la situation
Afin de réduire l’écart économique et social entre les femmes et les hommes en Haïti, plusieurs initiatives ont été prises par le gouvernement, la MINUSTAH et des organisations de la société civile.
Sur le plan juridique, la Constitution haïtienne de 1987 a été amendée en 2012 en vue d’assurer un quota d’au moins 30% de femmes « à tous les niveaux de la vie nationale, notamment dans les services publics », indique le nouvel article 17.1.
Pour accompagner ce changement sur le papier, le gouvernement haïtien a mis en place le Projet d’appui au renforcement de la gestion publique en Haïti (PARGEP), qui intègre la dimension du genre dans toutes les politiques sectorielles, comme celles de l’éducation, de la santé ou de l’économie. « Cela permettra aux femmes d’occuper des postes décisionnels au niveau de l’administration publique et dans le secteur privé », explique Rose Esther Sincimat Fleurant, au sujet de ce programme financé par le Québec et le gouvernement du Canada.
Il y a aussi le programme ‘Ti Manman Cheri’ (‘Maman chérie’ en créole), lancé officiellement le dimanche 27 Mai 2012, qui vise, selon le Premier ministre Laurent Lamothe, à « l’amélioration des conditions de vie des familles vivant dans l’extrême pauvreté ». D’un coût annuel de 13 millions de dollars américains, il consiste à octroyer des bourses aux mères ayant des jeunes enfants à l’école pour réduire la charge financière qui pèse sur elles.
Si le nombre exact de bénéficiaires n’est pas connu, des femmes d’au moins cinq départements du pays bénéficient déjà du programme. Il s’agit des départements du Nord, du Nord-Est, du Sud, du Sud-Est et de l’Ouest.
Pour sa part, la MINUSTAH, à travers la Section de la Réduction de la violence communautaire (RVC), a mis l’accent sur les femmes et filles vivant dans des quartiers sensibles de trois départements d’Haïti à savoir l’Ouest, l’Artibonite et le Nord (voir dossier du mois).
Elle a notamment financé la formation en gestion de petites entreprises de 50 jeunes femmes auto-entrepreneurs, ainsi que des études dans des domaines allant de la couture à la plomberie, l’électricité, la maçonnerie ou même l’artisanat, en faveur de centaines de jeunes filles.
Marie-Aure Clermont, qui confectionne des bijoux à partir de cornes et d’os de bœuf, est l’une d’elles. « Cette formation me permettra de mieux présenter mes produits à des clients locaux et internationaux », confiait la jeune femme originaire de la commune populaire de Martissant, à l’issue de sa formation en 2012.
Micheline Décius, elle, compte « partager ces connaissances avec d’autres femmes dans [son] entreprise » de confection de sacs en matières recyclées.
Selon la RVC, rendre les femmes auto-nomes économiquement peut non seulement être propice au bien-être de la famille, mais aussi à toute la communauté, qui en sort renforcée face à la précarité et à l’insécurité. (http://minustah.org)