Artisanat en fête, le temps des artisans

Certains artisans se montrent chaque année, depuis la première édition, à l’une des plus belles vitrines artisanales de la Caraïbe. Quelques-uns participent pour la première fois à l’événement, d’autres ont fait le grand voyage et ont eu le temps de passer le maillet à leurs enfants.

La conscience pure du moment, sous-jacente à Artisanat en fête, porte le visiteur à tout embrasser au Parc Historique de la Canne à Sucre. De l’utilitaire au décoratif, l’artisanat se conjugue en métal découpé, bois, pierre, papier mâché, bijoux, corne, banéco, peinture sur tissu, peinture sur bois, crochet et macramé, broderie, vannerie, céramique, accessoires, art de la récupération… Comment saisir cet univers regorgeant d’artisans que l’Institut de recherche et de promotion de l’art haïtien (I.R.P.A.H.) et Le Nouvelliste ont réparti dans l’étendue du Parc Historique ? Une journée ne suffit pas. Les 10 et 11 novembre 2018, le visiteur explore des mondes. Chaque artisanat est un monde à découvrir.

Raymond Willy, un artisan de Camp-Perrin, commune du département du Sud, est à sa douzième participation à Artisanat en fête. On n’est jamais tombé sur lui. Pourtant il est présent chaque année avec ses sculptures sur bois et également ses pièces taillées dans le granite. Elle est belle en elle-même cette roche plutonique magmatique dans laquelle il cisèle ses créations. On a envie de toucher la pierre pour sa texture grenue riche en quartz.

L’artisan camperrinois expose ses roches à l’état brut ou encore en format de cendrier, fruitier, ou autres objets utilitaires. Certaines roches sont claires comme l’eau, d’autres blanches, roses ou grises. Il les a recueillies dans les grottes de Camp-Perrin.

Le chemin des maîtres

Baldomère Lenord, cet artisan de Léogâne, est le fruit de l’expérience des frères Laratte. Depuis 1994, il travaille la pierre. Ses matériaux de prédilection sont le calcaire et la pierre grise de Cormier, ce granite qui jonche le lit des rivières. Mais si vous lui demandez comment il est arrivé à ce métier, il ne vous dira pas que des maîtres l’ont accompagné. Ronald et Frantz Laratte ont transmis la sculpture à des enfants et à des jeunes de Léogâne pendant des années. Les Laratte avaient une frénésie de transmettre. Chéry Louis-Jean, Brunel Roklò ont continué la route.

Baldomère fait partie de ces artisans ou encore de ces artistes de chez nous qui font croire que tout vient d’eux-mêmes comme par enchantement.

Jean-Baptiste Jean-Joseph de Isidor Gallery est dans la même logique que Baldomère. Hougan de son état, cet artisan de Noailles, village emblématique du métal de Croix-des-Bouquet, est embarqué dans Artisanat en fête depuis le début. À la tête d’un atelier d’une vingtaine d’artisans, Jean-Baptiste est versé dans les drapeaux vodous, les pailletés, objets perlés représentant les dieux de l’Afrique noire. Nos yeux rencontrent, sous un ruissellement de pailletés, Bossou, Loko, Danmballah, les signes symbolisant vingt-et-une nations que célèbrent ses créations.

Qui vous a transmis ces techniques ? Jean-Baptiste s’étonne et répond : « Je n’ai jamais eu de maître dans ma vie. C’est un don. En 1991, j’ai vu ma mère en rêve. Elle a écrit dans la paume de mes mains 01 et 18. Elle m’a dit : Tu n’auras jamais à travailler avec un patron un seul jour de ta vie. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai un don. C’est l’Afrique qui me l’a transmis. Je l’ai partagé à plusieurs artisans qui exposent à cette foire. »

Gérard Dumé, 50 ans, pratique à Jacmel l’artisanat depuis 40 ans. Il est à sa 3e participation à cette grande fête qui met en valeur les produits faits main. Gérard dit sans ambages que c’est l’ancien sénateur Wenceslass Lambert qui lui a transmis l’art du papier mâché. Depuis, il s’appuie sur cette substance malléable pour construire ses objets. Mais, sous la tente de Dumé reliée à un ilot de pavillons d’artisans de Jacmel, pas un masque de carnaval. Que se passe-t-il? « Quand j’étais dans le monde, je confectionnais des masques pour les jours gras. Maintenant je me suis converti. Devenu chrétien, je suis un homme nouveau. Un chrétien ne peut pas se mêler au monde », confie l’artisan, montrant des confections diverses qu’il obtient avec cette pâte modelable qui a l’air très résistant.

Marie Dandine Murat, 12e participation à cette plateforme qui rassemble environ 187 exposants à Tabarre, aime cette période de temps qu’IRPAH et Le Nouvelliste aménagent pour se ressourcer. Pour cette ancienne étudiante de l’École nationale des arts (ENARTS) qui consacre son énergie à la peinture et à la céramique, Artisanat en fête, c’est la Noël avant la Noël. Marie Dandine célèbre ses maîtres, Dieudonné Cédor, Lesly Cénatus, Casimir Joseph et Jean-Ménard Derenoncourt qui lui ont donné le goût de la beauté.

Bédythe Nicolas, dite madan Kossy, que nous avons croisée à Jacmel, expose, sous le pavillon de sa mère Hermithe Nacis, une vieille routière depuis le début de cette aventure. À notre arrivée sous la tente d’Hermithe, un point important obsède madan Kossy. Notons pour contextualiser cette idée qui s’impose à l’esprit : dans mon article paru dans Le Nouvelliste du 8 novembre, je l’ai vu vieillir de deux ans. « M wè m parèt nan Le Nouvelliste. Ou mete 2 an sou laj mwen. M gen 40 an. Retire sou laj la », conseille chaleureusement Madan Kossy, fière de nous présenter sa mère qui lui a passé le maillet.

Madan Kossy n’a pas vendu suffisamment, mais elle est repérée par quelques intéressés qui, au cours de l’année, mettront les pieds dans sa boutique ou lui téléphoneront pour passer une commande.

Le père Grandoit ne rate jamais une occasion. À Livres en folie comme à Artisanat en fête, il répond toujours au rendez-vous. Passant de stand en stand, il visite les artisans. « Artisanat en fête est un espace exceptionnel. Si chaque corps de métier en Haïti pouvait manifester ainsi ses productions, ce serait merveilleux. C’est un espace débordant de visiteurs. Chaque année, ça va de mieux en mieux au niveau de la qualité. Cela mérite le respect. » Mais le père Grandoit est conscient que quelque chose manque à cette filière et l’empêche de croître. Ce jour viendra-t-il ? Ce jour de paix dans les rues et dans les cœurs, ce jour qui allèche le touriste friand d’œuvre d’art qui recèle le meilleur d’Haïti viendra-t-il ?

Claude Bernard Sérant

Le Nouvelliste

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