Pour un certain redémarrage économique en Haïti : quelles alternatives ?

Écrit par Evnord Maignan / ev_d.maignan@yahoo.com / Economiste, maîtrise en Science de développement / Membre de l’Association Haïtienne des Economistes, AHE

 

Au cœur de l’Amérique, à l’est de l’ile Hispaniola, dans le bassin des caraïbes, Haïti enfante, forme et propulse ses fils vers l’extérieur, Les Haïtiens laissent le pays et se dirigent de toute part dans le monde. Ces derniers jours l’Amérique du sud reçoit pas mal d’Haïtiens, spécialement le Brésil et le Chili. Les principales causes s’expliquent par la misère en Haïti. En quête d’une vie meilleure, d’un emploi spécialement ou vers l’humiliation, ils s’aventurent malgré tout vers des économies plus offrantes. Comme ces pays hôtes, Haïti pourrait être aussi attractive, mais c’est le contraire. Nous allons voir à cet effet quelques indicateurs macroéconomiques qu’il faudrait analyser.

L’économie haïtienne a affiché un taux de croissance de 1.4% pour l’année fiscale 2015-2016. Ce ralentissement par rapport à 2014 (2.8%) et 2015 (1.2%) pourrait être le résultat des troubles politiques que connait le pays à la fin du gouvernement de Martelly-Paul. Le secteur primaire a cru faiblement de 3% contre une chute de 5.3% en 2015. Les secteurs secondaires et tertiaires ont crû respectivement de 0.8% et 1.2% contre 3.2% et 2.9% en 2015. En faisant un recul jusque vers les années 90, l’économie affichait des taux de croissance négatives : soit -5.3%, -5.4% et -12% respectivement en 1992, 93 et 94. Force est de constater et de se rappeler les troubles politiques qui déchiraient la nation haïtienne pendant cette période. En 1995, un an après le retour du président Jean-Bertrand Aristide de l’exil, le PIB remontait à 9.9%, soit une croissance apparente pour redescendre à 0.9% au début du premier mandat de l’ex-président Préval en 1996. Cela montre comment les troubles sociopolitiques coûtent chers à l’économie du pays.

Récemment le taux de croissance prévu à 2.2% par les autorités haïtiennes pour l’exercice 2016-2017 a été considérablement revu à la baisse par la CEPAL et la Banque Mondiale qui prévoit -0.6%. Selon le Fond Monétaire International (FMI), l’instabilité et les incertitudes politiques ont découragé les investisseurs en 2016. Rappelons –nous aussi que des bateaux de croisières en direction de Labadie (Nord d’Haïti)  ont été forcés de rebrousser chemin en janvier 2016 pour des raisons d’ordre politique et social.

 La monnaie nationale ne fait que perdre de la valeur. Le taux moyen mensuel de décembre dernier était de 67.25 HTG contre 67.39 HTG pour un dollar américain en fin de période. Cette même monnaie s’achetait à 11.10 HTG et en fin de période à 10.95 HTG pour un dollar 25 ans de cela, c’est-à-dire décembre 1992.  Récemment, en un an la monnaie s’est dépréciée de 26%, passant de 52.14 HTG en septembre 2015 à 65.53 HTG en 2016 en fin de période.

Selon un dernier rapport du Centre de Facilitation des Investissements (CFI), Haïti a enregistré au cours des 15 dernières années un déficit commercial estimé en 2014 à 1,419 milliards de dollars américain dans son commerce avec la république dominicaine, tandis que cette dernière importe pour un montant de 17 milliards, une opportunité dont Haïti peut profiter. Un tel manque à gagner montre comment la production nationale est très faible et contribue à faire augmenter le taux de change.

Selon les dernières informations publiées par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), après avoir atteint son pic de 15.2% en Avril 2016, l’économie haïtienne a affiché un taux d’inflation de 14.2% en rythme annuel pour novembre 2016 et de 1.5% en variation mensuelle. Selon les données disponibles, l’inflation annuelle de novembre 2013 était de 3.4% et la variation mensuelle tablait autour de 0.1%.

Un autre grand indicateur est celui du taux de chômage. Certains le considèrent comme un fléau et dont les effets sont plus dévastateurs qu’une guerre vu ses répercussions sur les recettes de l’Etat, les familles et même la santé mentale des gens. Les vagues d’émigrations, l’insécurité, la pauvreté sont quelques conséquences du chômage estimé selon certaines études à plus de 30%.

Face à cette situation déplorable, certains chercheurs parlent de « désastre économique en Haïti ». Dans son dernier rapport le Groupe de la Banque Mondiale « Doing Business » a analyse 190 économies dans le monde, Haïti s’est positionnée à la 181ème place, c’est-à-dire parmi les moins attrayantes pour faire des affaires. C’est donc une économie qui n’arrive même pas à survivre. Le dernier fait qui montre la faillite de l’économie haïtienne est son incapacité à répondre aux besoins urgents de la population du Grand Sud après le passage de l’ouragan dévastateur Matthew. Comme un moteur, l’économie ne marche pas, pour cela le redémarrage est urgent.

Des alternatives pour redémarrer ou relancer l’économie seraient :

  • Le renouvellement périodique des institutions républicaines par des élections libres, honnêtes et démocratiques. Ce qui aboutira à la « stabilité politique ». Un pays qui est sans cesse déchiré par des crises politiques ne se trouve pas dans la bonne terre pour se développer. Pas de possibilité pour développer le tourisme et attirer des investissements, un pion vers la croissance économique. La prolifération de partis politiques pour une population de plus de 10 millions d’habitants ne permet pas de planifier le développement. Trop de divergences et les politiciens ne veulent pas trouver un terrain d’entente mais ils défendent des intérêts particuliers mais pas pour ceux de la population.
  • L’amélioration du climat sécuritaire dans le pays qui dépend dans une certaine mesure de la stabilité politique. De même qu’il est obligatoire d’avoir des politiques économiques, il est obligatoire qu’il y ait un plan de sécurité pour les citoyens, les touristes, les investisseurs et leurs biens.
  • Reformation du système financier afin de démocratiser le crédit.
  • L’élaboration d’un « plan de développement économique »  à court, moyen ou long terme avec les techniciens d’un nombre réduit de partis politiques. Ce serait un moyen de faire la continuité, de corriger les erreurs passées. Car le développement se pense, se discute, se planifie et doit être un processus.
  • L’identification dans le « plan de développement économique» des secteurs prioritaires et l’identification de la priorité des priorités qui devrait être l’agriculture car elle procure les biens vitaux à l’homme, c’est un secteur qui crée des emplois pour le pays, elle permettrait d’augmenter la production nationale et de diminuer les importations de produits alimentaires. Une augmentation de la production agricole réduirait l’inflation dans l’économie et permettrait à la gourde d’acquérir de la valeur.
  • La déconcentration des activités économiques tout en identifiant des pôles de développement dans le pays ; ce qui réduirait l’exode, les vagues d’émigration illégale et la vulnérabilité de la population de la zone métropolitaine de port-au- prince.
  • La déconcentration des services sociaux de base tout en identifiant des centres pour chaque région du pays.
  • La réévaluation des dépenses de l’Etat et les privilèges accorées à certains groupes de personnes faisant partie du gouvernement en général, c’est-à-dire des trois pouvoirs de l’Etat. Il incombe dans ce cas à identifier les dépenses inutiles et une meilleure allocation des ressources financières de l’Etat.

Si des pays proches d’Haïti sont plus ou moins attrayants, c’est le résultat du travail des citoyens. Haïti dispose du minimum de ressources, ce qu’elle réclame est la bonne volonté et le courage et la discipline pour les transformer en biens et services au profit de la population.

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