ONU : Maintien de la paix et de la sécurité internationales, intervention de l’Ambassadeur Denis Régis

Source hpnhaiti.com

« Le Représentant Permanent de la République d’Haiti auprès des Nations Unies,  l’Ambassadeur  Denis Régis,  est intervenu le 10 janvier 2017 à la 7857e séance du  Conseil de sécurité des Nations Unies  sur le thème  « Prévention des conflits et  pérennisation de la paix »,  au titre de l’ordre du jour  « Maintien de la paix et de la sécurité internationales ».  

HPN  publie in extenso le texte de l’allocution du diplomate haïtien.

 Madame la Présidente,

Excellences,

Mesdames, Messieurs,

1- Permettez-moi tout d’abord, au nom de la délégation de la République d’Haïti, de féliciter à nouveau la Suède  pour sa brillante élection au Conseil de sécurité, et d’avoir pris l’initiative de cette importante séance de réflexion, qui s’inspire de la nécessité de poser un nouveau regard sur le maintien de la paix, cet outil privilégié de gestion des crises et de prévention des conflits.

2- Je salue la présence ce matin du nouveau Secrétaire général des Nations Unies.  Sa voix fait écho à celles, de plus en plus nombreuses, qui s’élèvent pour demander des comptes à l’ONU – et en particulier au Conseil de sécurité, en sa qualité d’instrument central dans la prévention et le règlement des conflits aussi bien que dans la préservation de la paix.  Nul doute que les nouvelles pistes qu’il vient de proposer à notre réflexion seront examinées avec le plus haut intérêt.

3- La séance de ce jour s’inscrit dans un contexte international particulier marqué par le retour en force de la logique de guerre comme option de règlement des conflits, le spectre grimaçant d’une nouvelle course aux armements, l’expansion soutenue de l’extrémisme violent et du terrorisme, et la multiplication de foyers de crise où l’autorité du Conseil et sa crédibilité sont souvent mises à mal par son impuissance à apporter des réponses collectives conformes à son mandat.  Des crises ça et là, qui n’en finissent pas, en sont la parfaite illustration.  Ces crises soulignent, s’il en était encore besoin, l’opportunité de certains aménagements au droit de veto, dont la portée devrait, à l’évidence, être limitée ou atténuée notamment dans des situations où les droits de l’homme sont outrageusement bafoués, et où sont commis des crimes s’apparentant à des crimes contre l’humanité et à des atteintes graves au droit humanitaire.

4- Sur un autre plan, les opérations de maintien de la paix connaissent depuis quelques décennies une véritable mutation qualitative.  Aujourd’hui, bien des conflits intra-étatiques qui occupent les Nations Unies ont pour toile de fond l’extrême pauvreté.  Dans la plupart des cas, il ne s’agit plus simplement pour les Casques bleus de servir de force d’interposition ou d’assurer la surveillance de cessez-le-feu entre forces belligérantes.  Il s’agit davantage d’opérations multidimensionnelles, qui font intervenir toute une gamme d’actions interreliées, susceptibles de faciliter le processus politique, d’instaurer ou de restaurer la primauté du droit, de créer une dynamique de sécurité, de stabilité et de paix.

5- La complexité de ces conflits a souvent pour effet d’accroitre les mandats des opérations de maintien de la paix.  Celles-ci se déploient souvent de façon trop tardive, et ce, dans des environnements parfois difficiles voire hostiles, ou les problématiques rencontrées ne se prêtent pas à des réponses faciles.  De surcroit, on sait de quel poids elles pèsent sur le budget de l’ONU et le fardeau excessif que représentent les sommes énormes engagées sur le plan militaire par rapport notamment aux véritables besoins de développement des pays concernés.

6- Certes, l’outil de maintien de la paix a fait ses preuves.  Mais il a montré aussi ses limites.  Force est d’admettre la nécessité de repenser les bases doctrinales du maintien de la paix à la lumière de la situation actuelle, de mettre à jour ses mécanismes et d’adapter cet outil en vue d’une meilleure efficacité – en tenant compte, bien entendu, des succès, des échecs et des leçons apprises ces dernières décennies.

7- Pour sa part, la République d’Haïti, où une mission de paix des Nations Unies (la MINUSTAH) œuvre depuis bientôt treize ans à la stabilisation du pays, considère comme particulièrement opportun le réexamen en cours des priorités stratégiques en matière de maintien de la paix.  Ma délégation souscrit pleinement à un certain nombre d’idées-forces qui ont été mises de l’avant au fil des dernières années par différentes instances des Nations Unies dans le cadre de la prévention et du règlement des conflits.  Ces propositions, qui n’ont rien perdu de leur pertinence au regard des défis actuels, privilégient, par-dessus tout, les solutions qui tiennent compte des causes profondes des conflits et des facteurs structurels qui les sous-tendent.  A cet égard, qu’il me soit permis de formuler quatre observations :

8- En premier lieu, nous considérons comme essentiel que le Conseil de sécurité, tirant parti des leçons du passé récent, se réapproprie pleinement la mission qui lui est dévolue par la Charte des Nations Unies afin d’apporter des réponses fortes face à l’enchainement des menaces actuelles à la paix et à la sécurité.  En particulier, pour que sa mission de « sauvegarde de la paix » prenne tout son sens, le Conseil se doit d’éliminer les blocages institutionnels qui, trop souvent ces dernières années, ont miné, voire paralysé, son action face au déchainement de la violence et de la barbarie.  C’est là, aujourd’hui, un des obstacles majeurs au maintien de la paix.  Sous ce rapport, deux points importants méritent d’être soulignés :

• Nous croyons qu’il est grand temps pour les membres du Conseil de sécurité de remédier aux défaillances des mécanismes de solidarité et de responsabilité collectives si essentiels à l’accomplissement de sa mission de  « principal responsable du maintien de la paix. »

• On ne peut différer indéfiniment l’adoption et la mise en œuvre des réformes jugées depuis longtemps indispensables, notamment celle des mécanismes de décision du Conseil de sécurité  – et singulièrement l’utilisation du droit de veto  -, ni un élargissement de sa composition en vue d’améliorer sa représentativité, autant d’éléments qui rallient par ailleurs un large consensus.

9-  En second lieu, on n’insistera jamais assez sur les vertus et les avantages de la prévention des conflits.  Déjà l’Agenda de la paix soulignait à juste titre que le maintien de la paix commandait, au premier chef, de « déceler aussi tôt que possible les situations porteuses de conflit et de parer au danger, par la voie diplomatique, avant que la violence ne se déclare ». Ce principe cardinal vient d’ailleurs d’être réitéré, entre autres, dans le Rapport sur la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, à savoir que « la prévention des conflits doit être la priorité et non l’usage de la force », comme le rappelle opportunément la Note conceptuelle préparée par la Suède.  La prévention des conflits devrait, à ce titre, être au cœur de toute démarche tendant vers la mise à jour et l’adaptation de l’outil de maintien de la paix.  Certes, l’expérience des six dernières décennies montre aussi que l’imposition de la paix implique et justifie dans bien des cas le recours à la force. Il en est de même du combat actuel contre les nouvelles menaces à la paix internationale, le terrorisme et l’extrémisme, les violations systématiques et insoutenables des droits de l’homme.  Mais, dans la recherche de l’équilibre nécessaire entre la force et la diplomatie, on ne doit pas perdre de vue que l’usage de la force devrait être l’arme du dernier recours, quand toutes les autres solutions ont été épuisées – pour reprendre la formule bien connue.

10- En troisième lieu, dans l’éventail des facteurs en présence, qui culminent souvent en logique de guerre – civile, locale ou régionale – on ne doit sous-estimer ni occulter les causes profondes de conflit que sont la misère économique, l’injustice sociale, l’oppression politique, la marginalisation, l’exclusion.  Il importe donc que tout soit mis en œuvre pour s’attaquer aux facteurs économiques qui engendrent les conflits, les entretiennent ou les exacerbent.  L’ONU se doit, à cet égard, d’être prête à faire sa part dans « le rétablissement de la paix sous ses diverses formes », notamment par la mobilisation des ressources financières et techniques susceptibles de contribuer à désamorcer la bombe à retardement qu’est l’extrême pauvreté. Nombre de pays en développement, notamment les moins nantis, qui sont en proie à des conflits ou en phase de reconstruction post-conflit ou de consolidation de la paix, ont besoin de ce renforcement substantiel de l’aide et de la coopération internationale pour rompre le cercle vicieux de la pauvreté.  Ils ne doivent pas être les laissé-pour-compte du développement.  La meilleure sécurité, comme le soulignait très justement un homme d’Etat, « c’est aujourd’hui la solidarité. »

11- Enfin, il convient de faire valoir que, dans tous les aspects de ses activités de prévention des conflits et de maintien de la paix, l’Organisation des Nations Unies ne devrait en aucun cas se soustraire à ses responsabilités à l’égard des populations qu’elle est appelée à protéger, y compris dans les cas de préjudices moraux et matériels dont elle serait elle-même la cause – et ce, au nom du respect des normes relatives aux droits de l’homme qu’elle a pour mission essentielle de promouvoir.

Madame la Présidente,

12- Pour terminer, qu’il me soit permis de saisir cette occasion pour esquisser brièvement les derniers développements en Haïti qui, je sais, ont retenu l’attention et le meilleur intérêt du Conseil.  Le 03 janvier 2017, le Conseil électoral provisoire haïtien a confirmé l’élection de Monsieur Jovenel MOISE comme nouveau Chef d’Etat, au terme d’un scrutin qui restera sans doute dans nos annales comme une référence.  La restauration de la confiance des électeurs dans l’intégrité du processus électoral et la garantie de neutralité et d’impartialité absolue des plus hautes autorités de l’Etat, ont été incontestablement des facteurs déterminants de ce succès.

13- Je tiens, au nom de ma délégation, à saluer l’accompagnement de l’ONU, à travers notamment la MINUSTAH, qui a puissamment contribué à ce résultat.  Certes, nous le savons bien, les élections ne constituent pas une fin en soi.  Mais la réussite des joutes municipales, législatives et présidentielles permet indéniablement de tourner la page de l’instabilité politique, qui a si lourdement hypothéqué les chances de développement socio-économique du pays au cours des dernières décennies.  Elle ouvre la voie, après la phase de stabilisation, à celle de la consolidation des acquis, devant permettre de s’attaquer aux problèmes structurels, en particulier à l’extrême pauvreté qui frappe des pans entiers de la population, laquelle s’est singulièrement aggravée après le passage dévastateur de l’ouragan Matthew en octobre dernier.

14- Á l’heure ou le pays aborde ce nouveau cap, hors du sentier des luttes intestines et des conflits qui n’ont fait que retarder sa modernisation sociale et économique, point n’est besoin de souligner l’importance qu’il attache au renforcement de la solidarité internationale.  Haïti continue de compter sur le soutien de l’Organisation des Nations Unies, dans toutes ses composantes, pour lui permettre de poursuivre le processus de reconstruction et de progresser de manière soutenue sur le chemin de la démocratie et de l’Etat de droit, la seule voie possible vers un système politique stabilisé et apaisé, vers la croissance, la réduction de la pauvreté, en un mot, vers le développement durable.

Je vous remercie.

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